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années. Saint Philibert nous appartient plus directement par les bienfaits de sa vie, mais il ne nous touche guère de beaucoup plus près par l’origine. C’était un noble Franc du VIIe siècle, qui, comme saint Faron de Meaux et tant d’autres grandes âmes issues de la population conquérante, chercha dans le cloître et la religion le remède et la consolation à la barbare anarchie dont il était témoin. Il fut le fondateur et le premier abbé des deux célèbres abbayes de Jumiéges et de Noirmoutiers. Ces deux illustres fondations nous témoignent de sa piété ; quant au degré de ses lumières, il nous est attesté par son hostilité à la politique du maire du palais Ebroïn et par les persécutions qu’il eut à souffrir pour sa fidélité à la cause contraire. Le fait cependant qui nous touche le plus dans sa vie, parce qu’il nous montre quelles profondes et lointaines origines ont toujours les très grands événemens, c’est que nous trouvons en lui, et cela au moment de la première et irrésistible expansion de l’islamisme, le germe originaire, le minuscule atome générateur du sentiment qui lança les croisades quatre siècles plus tard. Emu de pitié par les récits qu’on lui faisait des souffrances que les chrétiens d’Orient avaient à supporter de leurs vainqueurs, il fut le premier qui organisa des moyens de rachat pour les captifs faits par les infidèles. Neustrien et Aquitain par ses fondations, il semblerait logiquement que c’est en Normandie, en Vendée, en Poitou qu’il faut aller chercher les débris de sa mémoire. Eh bien ! point du tout, c’est au village de Saint-Philibert, près de ces bourgades de Fixin et de Brochon, que nous venons de quitter, où une fontaine miraculeuse coule en l’honneur de ses vertus, c’est à Tournus où son souvenir a eu la puissance d’exhéréder un saint depuis longtemps en possession, saint Valérien. Par quel hasard ce saint est-il donc si populaire en Bourgogne, où il ne mit jamais les pieds ?

Cette dévotion a son origine dans une des périodes les plus ténébreuses de nos annales, et à sa petite clarté nous pouvons apercevoir au sein de l’ombre épaisse quelques-unes des horreurs multipliées de cette lointaine époque. Au IXe et au commencement du Xe siècle, alors que les Normands tenaient toutes les populations françaises sous la terreur de leurs surprises homicides, il y eut dans notre pays un grand remue-ménage de reliques. Comme ces barbares s’attaquaient aux monastères avec une rage si particulière que les âmes pieuses en avaient ajouté une prière aux litanies : a Normannorum furore libera nos, Domine, les moines des abbayes situées sur les côtes ou riveraines des grands fleuves, tremblant pour leurs dépôts sacrés, les transportèrent autant qu’ils purent dans l’intérieur des terres. Alors commença pour la plupart de nos saints français une existence posthume souvent fort