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natale comme celle d’un père et d’un bienfaiteur. C’est grâce à son adresse et à sa présence d’esprit que les horreurs de la Saint-Barthélémy furent épargnées à la Bourgogne. Fort jeune encore alors, mais déjà fort estimé, il avait été appelé à faire partie du conseil de Bourgogne auprès du comte de Charny, lieutenant du roi pour cette province. Pendant que la Bourgogne, comme la France entière, écoutait frémissante de passions contraires les bruits sinistres qui partaient de Paris, voici qu’arrivent auprès du conseil deux gentilshommes porteurs de simples lettres de créance du roi, sans autres instructions, ce qui voulait dire : vous accorderez comme à nous-même confiance aux paroles des porteurs de ces lettres et vous exécuterez comme vous étant donnés par nous-même les ordres qu’ils vous donneront verbalement. Ces gentilshommes, demanda Jeannin, consentiraient-ils à signer ces créances ? Refus des envoyés, qui répondent que, le roi ne leur ayant rien remis par écrit, leur parole doit suffire. Alors Jeannin, rappelant la loi de Théodose qui défendait aux gouverneurs de province d’exécuter tout commandement extraordinaire avant un délai de vingt jours, afin qu’on eût le temps d’en appeler à l’empereur, demanda qu’on envoyât auprès du roi, et qu’on obtînt de lui des lettres patentes pour l’exécution de ses ordres. Jeannin réussit donc à obtenir un salutaire sursis : or deux jours plus tard arrivèrent des lettres de la cour, qui, représentant le mouvement de Paris comme le fait non de l’état mais des Guises, qui avaient voulu se venger de l’amiral, dispensaient d’exécuter les ordres verbalement apportés. Attaché à partir de cette époque au duc de Mayenne, il le servit avec une parfaite loyauté sans jamais manquer dans une situation aussi délicate et glissante à la fidélité qu’il devait au roi légitime. Il sut rester sujet tout en vivant au milieu des factions. Nos pères savaient réaliser de ces merveilles d’équilibre qui nous seraient impossibles aujourd’hui, et cet art, qui leur était comme naturel, c’est à l’habitude séculaire de la monarchie qu’ils le devaient. Aussi loin qu’aille Jeannin, il est toujours un point précis auquel il s’arrête, le respect de l’antique constitution politique de la France. Lorsque sous Henri III les Guises s’apprêtèrent à prendre les armes contre le roi, Jeannin eut par Mayenne confidence de leurs mouvemens, et il fit tout ce qu’il put pour les détourner de feur projet, leur démontrant avec sagacité que ce serait la ruine de leur maison, car dès lors on verrait en eux non des défenseurs, mais des destructeurs de l’ordre traditionnellement établi en France. Plus tard, lorsque la mort de Henri III et l’incertitude où l’on restait de la conversion du roi de Navarre eurent mis tout Français en demeure de choisir entre la fidélité, à l’antique constitution de l’état et la fidélité à la constitution plus antique encore des habitudes et des mœurs de la France,