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nations coalisées qu’elle venait de rencontrer à Leipzig dans un formidable choc, et qui maintenant s’avançaient de tous les côtés à la fois pour se rejoindre sur notre territoire. Par la Hollande et la Belgique au nord, par le Rhin central, par la Suisse et le Jura, sur tous les points entre la Mer du Nord et les Alpes débordait cette coalition européenne poussant ses légions à travers nos frontières démantelées. Tout était menacé en même temps, tout cédait d’un seul coup sous l’effort ennemi. L’invasion de 1870 se pouvait s’accomplir et ne s’est point accomplie de la même manière. La neutralité suisse mieux garantie, sérieusement sauvegardée cette fois, protégeait au moins d’un côté jusqu’à Bâle la France de l’est. La neutralité belge, œuvre plus récente d’une politique de paix et de préservation, couvrait le nord jusqu’au Luxembourg. L’invasion allemande n’avait qu’une issue : elle s’est précipitée comme un torrent par les provinces du Rhin, par le palatinat, se frayant un passage entre Strasbourg et Metz, immobilisant ces deux places, mieux encore cernant une armée tout entière sous les murs de la citadelle lorraine, se repliant un instant pour aller achever la destruction d’une seconde armée à Sedan, puis courant droit sur Paris, même jusqu’à la Loire, sans s’inquiéter de ce qui se passait sur ses flancs. Ce n’est qu’avec le temps, lorsqu’elle était déjà campée au centre de la France, qu’elle a été conduite à se retourner vers l’est vers le nord et le nord-ouest, qu’elle avait d’abord négligés.

Évidemment, si avant d’engager cette guerre néfaste on avait eu la prévoyance de laisser dans l’est et dans le nord, je ne dis pas des armées toutes faites, — on ne pouvait en avoir partout, celles qu’on avait devant l’ennemi étaient déjà trop faibles, — mais les premiers élémens nécessaires pour reconstituer promptement des armées nouvelles, pour créer deux centres énergiques, efficaces de défense et d’action, l’invasion n’aurait pas marché, si hardiment, si présomptueusement sur Paris. Elle se serait sentie menacée, elle aurait été peut-être obligée de disséminer ses forces ; en prenant du temps avant d’aller plus loin, elle en aurait donné, et si elle ne s’était pas arrêtée, elle aurait été exposée à se voir assaillie sur ses communications, à être prise entre deux feux. Ce que l’est aurait pu devenir pour la défense nationale dans ces conditions, je l’ai dit. Le nord pouvait avoir un rôle au moins aussi décisif par sa position et par ses ressources, — appuyé d’une part à la Belgique neutre, touchant à la mer, donnant la main à la Normandie et à l’ouest, hérissé de forteresses sous la protection desquelles on pouvait tout organiser, tout préparer et tout tenter.

Sans doute on se trouvait jeté subitement dans une situation étrange, inattendue, les événemens[sic] avaient marché de façon à