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il n’est en rien contraire, comme on le voit, à la doctrine de l’église sur le jugement. Aussi faut-il entendre ce mot de christianisme occulte et hermétique non dans le sens d’une hérésie secrète, mais seulement comme synonyme de symbolisme raffiné et d’interprétation subtile des mystères des dogmes chrétiens.

Là où ce christianisme ésotérique se déploie dans toute la variété de ses allégories et de ses symboles, c’est autour des chapiteaux des piliers de la cathédrale. La présence d’une doctrine plus ou moins mystérieuse, pareille à une plante invisible dont l’église est la racine et la tige, et dont les ornemens de ces chapiteaux sont les fleurs et les rameaux, est ici un fait tellement évident, qu’il frappe dès la première promenade le long de la nef. On ne peut s’empêcher de remarquer en effet que tous ces ornemens se composent de petits drames que l’on doit prendre nécessairement pour des scènes d’histoire religieuse ou des allégories mystiques. Certes ces sortes de scènes ne sont point rares dans les églises romanes, dont la décoration aime, comme on le sait, à mêler aux ornemens de ses arabesques et de ses feuillages de petits bas-reliefs qui se déroulent autour des chapiteaux des colonnes. D’ordinaire cependant le nombre de ces bas-reliefs est limité à quelques chapiteaux ; ici il y en a autant que de piliers. Si le curieux est averti par le grand nombre de ces sculptures, il l’est encore bien davantage par leur variété et leur singularité. Il y en a toute une partie qu’il comprend sans effort, et une autre qui échappe à son intelligence, à ses souvenirs. Je reconnais sans peine la chute de l’homme, Daniel dans la fosse aux lions, le lavement des pieds, la trahison de Judas, le martyre de saint Etienne, Jésus apparaissant aux saintes femmes, Simon le magicien et les apôtres, les jeunes Hébreux dans la fournaise ; mais que veulent dire ce personnage bizarre qui porte des clochettes aux pieds et aux mains comme un fantasque fou de cour, ce cavalier qui foule aux pieds de son cheval un pauvre petit diable dont l’expression d’épouvante a été admirablement rendue, ces deux coqs perchés sur des pommes de pin, qui se battent à la grande joie de deux espèces de singes placés derrière eux, cet homme qui lutte contre un griffon ? Passe encore pour la sculpture qui représente un moine terrassant un lion ! celle-là offre un sens intelligible, et il est facile d’y voir l’emblème de l’âme rendue invincible par la foi et triomphant de la brutalité païenne de la chair ; mais toutes les autres sont évidemment des arcanes qu’on ne peut ouvrir sans clé. En effet, un écrit ingénieux, publié il y a déjà longtemps par un chanoine d’Autun sur la signification de ces sculptures, nous apprend que le personnage aux clochettes est une représentation de la fausse charité, telle qu’elle a été définie par saint Paul, — que le cavalier foulant un homme aux pieds de son cheval représente