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dernier. Malgré la gaucherie relative de l’exécution, c’est une œuvre du plus grand mérite par l’abondance des détails qui indique chez son auteur une remarquable fécondité et une imagination de vrai poète. Il n’y a qu’un artiste de génie qui pouvait rencontrer l’idée de l’épisode gracieusement émouvant que voici. Les morts sont sortis précipitamment de leurs tombeaux à l’appel de la trompette, et déjà le jugement a commencé ; mais deux pauvres âmes effarées courent se réfugier dans les plis de la robe de l’archange saint Michel, soit qu’elles cherchent un abri contre les flammes de la chaudière d’enfer qui bout non loin de là, soit qu’elles espèrent ainsi passer inaperçues et échapper à leur jugement, soit enfin qu’elles croient qu’emportées dans le vol de l’archange ignorant des atomes de poussière morale attachés à sa robe, elles pourront pénétrer avec lui dans le ciel. La pensée et le sentiment de cet épisode sont entièrement dignes de Dante ; cela rappelle ces mouvemens d’effroi ou de timidité pieuse des âmes coupables qu’il a décrits dans l’Enfer et le Purgatoire avec une si inépuisable variété de tours, et va droit au cœur avec la même force de pénétrante sympathie. Au reste, puisque l’occasion se présente de nommer Dante à propos, d’une scène qui touche de si près à sa grande conception, disons qu’il n’est pas une de ses bizarreries les plus hardies dont on ne retrouve facilement l’origine dans les sculptures du moyen âge. Par exemple dans ce tympan, l’enfer est représenté par un être excentriquement hybride, à moitié chose, à moitié créature, un diable qui est une chaudière et une chaudière qui est un diable. Cela tient à la fois, comme on le voit, de Dante et de Callot ; mais n’est-il pas facile de distinguer comment une telle fantaisie baroque, transformée par le génie, peut devenir le Satan gigantesque qui sert de clé de voûte et de porte à son enfer ? Cette sculpture n’indique pas seulement chez son auteur un génie de poète, elle témoigne encore d’une culture d’esprit curieuse et subtile. Ce vieux Gislebert semble avoir appartenu à une sorte de christianisme ésotérique, quelque peu occulte et hermétique, qui paraît avoir compté dans Autun de nombreux initiés. J’indique un des épisodes qui peuvent faire comprendre la nature de ce christianisme plus secret. Cet épisode représente le jugement de deux âmes. La balance sort des nuées tenue par une main invisible ; le démon et l’archange saint Michel procèdent au pesage des deux âmes ; or, pour empêcher que la bonne âme l’emporte sur la mauvaise, Satan ajoute au plateau qui lui appartient un lézard, bête vive et froide, emblème de péché. Cela rappelle les scènes symboliques de la sculpture égyptienne qui représentent les jugemens après la mort, et semble en être en effet comme un lointain et obscur souvenir. L’épisode est bizarre, mais