Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/976

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une dépêche par laquelle il proposait un arrangement fixant une limite que la Russie ne pourrait franchir, et le prince Gortchakof acceptait volontiers le principe de la délimitation en modifiant quelque peu la limite elle-même. Le comte Schouvalof n’est allé récemment à Londres, comme envoyé confidentiel du tsar, que pour rassurer les Anglais, pour prodiguer les explications au sujet de cette expédition de Khiva qui a réveillé tous les ombrages. On en est là maintenant.

L’Angleterre a-t-elle obtenu toutes les garanties qu’elle désire ? Est-elle arrivée à une solution diplomatique précise ? Aucun acte ne l’indique. La Russie sera modérée, elle n’imposera pas au khan de Khiva des conditions de nature à justifier une occupation, elle ne s’avancera pas plus qu’il ne faut. Pour le moment on est rassuré, puisqu’on veut l’être ; mais il est évident que dans l’esprit des Anglais il reste un certain doute, comme une vague méfiance de l’avenir. Ils sentent que cette question n’est qu’ajournée, qu’elle renaîtra, que cet antagonisme qui s’agite dans l’Asie centrale n’est point apaisé parce qu’il ne peut pas l’être. Dans toutes les affaires qu’ils ont eues depuis quelque temps, et qui ont été pour eux la source d’assez cuisantes déceptions, c’est de leur puissance qu’il s’agit, quelquefois de leur orgueil, et ce qu’il y a de caractéristique, c’est que les mécomptes de l’Angleterre commencent avec les désastres de la France : tant il est vrai qu’il y a une intime solidarité entre les peuples faits pour représenter la civilisation libérale, qu’il ne suffit pas d’abandonner un allié, de se retrancher dans une indifférence égoïste pour garder le monopole du succès et du bonheur dans ses propres affaires !

CH. DE MAZADE.

REVUE DRAMATIQUE.

THEATRE-FRANÇAIS. — Reprise de MARION DELORME, par M. Victor Hugo.

« C’est quelque chose, c’est beaucoup, c’est tout pour les hommes d’art, dans ce moment de préoccupations politiques, qu’une affaire littéraire soit prise littérairement. » Ainsi parlait M. Victor Hugo, lorsqu’il publiait au mois d’août 1831 ce drame de Marion Delorme, qui venait d’être représenté à la Porte-Saint-Martin. On devine le plaisir que nous éprouvons à retrouver ces paroles dans la préface du drame, au moment où la Comédie-Française le remet sous nos yeux. Oui, prenons littérairement les choses littéraires, ne mêlons pas la politique à l’art, n’appelons pas des manifestations de parti au secours d’un poète qui est de taille à se défendre lui-même. Quiconque tient une plume est intéressé