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en mesure d’user de ce droit, encore faut-il savoir se prêter à cette nécessité des choses dont on subit l’inexorable loi. Que veut-on faire ? Il y a dans l’œuvre de la commission des trente une partie aussi malheureuse que possible, c’est celle à laquelle on attache le plus de prix, dont on s’est le plus occupé, qui reste visiblement le premier et le dernier mot d’un projet si laborieusement combiné, c’est la partie qui touche à ce qu’on appelle le règlement des attributions des pouvoirs publics. Cela signifie tout bonnement la définition, c’est-à-dire la restriction des rapports de M. Thiers avec l’assemblée. M. Thiers, on le sait, ne communiquerait plus avec l’assemblée que par des messages, et même, s’il est autorisé à comparaître par exception, le discours qu’il pourrait prononcer ne serait encore qu’un message oral. Ses interventions sont prévues, réglées, limitées, comme dans un code de l’étiquette. La majorité des trente a cru prendre toutes ses précautions, et elle ne fait en définitive qu’une œuvre assez puérile qui risquerait fort d’exposer les pouvoirs de notre pays à un rôle un peu ridicule, en les assimilant à des Chinois cérémonieux, selon la malicieuse expression de M. le président de la république lui-même. Imagine-t-on en effet l’assemblée s’arrêtant tout à coup dans une discussion parce que le chef du gouvernement manifeste par un message le désir d’être entendu, le président de la république arrivant le lendemain pour prononcer son discours, puis se retirant, laissant l’assemblée à sa délibération, sauf à demander par un second message à se faire entendre de nouveau ? Est-ce bien sérieux ? Tout cela valait-il qu’on discutât avec un chef de gouvernement sur des mots, sur des nuances d’expression ? On parle souvent du caractère tout personnel de la situation et du pouvoir de M. Thiers ; c’est justement la commission qui se plaît à mettre en relief et à consacrer ce caractère tout personnel. Elle fait une ombre de constitution, une organisation politique pour un homme, et cela est si vrai que, si M. Thiers disparaissait, s’il y avait un autre chef de gouvernement, même avec la république plus ou moins provisoire que nous avons, toutes ces combinaisons s’évanouiraient d’elles-mêmes. On laisse trop voir que c’est à la puissance de parole, à l’éloquence de M. Thiers qu’on veut mettre le frein, et quand on dit qu’on espère ainsi éviter les conflits qui peuvent naître des hasards d’une discussion, ce n’est pas encore bien sérieux, puisqu’on n’évite rien, puisque ces conflits peuvent certainement se produire, que M. Thiers assiste ou n’assiste pas à une discussion. M. le président de la république avait donc raison de dire : « Vous ne vous êtes occupés que de moi. » Il parlait dans un esprit de conciliation patriotique lorsqu’il ajoutait : « Je me résigne à ce qui a l’air d’une attaque dirigée contre moi. » Comment veut-on que le pays attache quelque importance à ces combinaisons fragiles, à ces toiles d’araignée tendues autour d’un homme qu’on veut