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tout ce qu’ils avaient souffert, à tout ce qu’ils devaient souffrir encore, alors la rage le mordit au cœur. Lui, un traître ! lui, un espion ! Que lui avaient donc servi son dévouement, son courage, ses longues nuits passées sous la neige, et trente-sept ennemis tués de sa main en combat singulier ? Tournant sa fureur contre lui-même, il mit sa capote en lambeaux ; rentré au camp, il brisait tout ; planches et couvertures volaient dans la baraque. — Je voyais rouge, j’étais fou, disait-il ; un de ces hommes eût été là, je le tuais ! — A la longue, ses camarades parvinrent à le calmer ; mais il n’eut plus qu’une pensée désormais : rentrer dans Paris, chercher ceux qui l’avaient calomnié, obtenir d’eux réparation, au besoin même se faire justice.

Un danger terrible vint pour un moment occuper son esprit et le distraire de ses projets de vengeance. Il avait pris le nom de Wolff et se disait natif de Colmar ; mais avec tant de monde une imprudence était à craindre. Il s’était offert alors pour faire la cuisine ; comme il pariait bien l’allemand, les Prussiens l’avaient accepté. Un de ses vieux camarades, Huguet, qui avait toujours marché avec lui autour de Paris, lui servait d’aide cuisinier, distribuait la soupe, découpait la viande, lui évitait enfin tout rapport avec les autres prisonniers. Cela dura près d’un mois. Chaque matin, les sous-officiers allemands venaient prélever un bouillon bien chaud sur le maigre ordinaire des soldats français. A part cela, ils ne s’occupaient guère du cuisinier et de son aide. Cependant depuis peu Hoff se sentait surveillé : un Hanovrien, brave garçon celui-là, avait même eu soin de le prévenir. Sans doute, quelque mot inconsidéré surpris au vol dans les baraques avait donné l’éveil, et, sachant mieux que nos journaux à quoi s’en tenir sur le faux espion, les Prussiens le cherchaient partout. Un jour qu’il se trouvait dans sa cuisine, en apparence tout à ses fourneaux : « Sergent Hoff ! » lui crie-t-on de la porte. Il fit la sourde oreille et ne bougea pas. « Sergent Hoff ! » répète-t-on par deux fois. C’était un officier allemand qui, pour l’obliger à se découvrir, avait eu recours à cette ruse. Un peu déconcerté d’abord, l’officier s’approcha de lui, et, lui tapant légèrement sur l’épaule : — Vous êtes le sergent Hoff ? lui dit-il. — Moi ? reprend bien vite le vieux soldat en se retournant d’un air étonné ; vous vous trompez, je m’appelle Wolff, je suis de Colmar, — et déjà il commençait à raconter son histoire. L’Allemand haussa les épaules, sourit complaisamment d’un épais sourire qu’il voulait rendre malin, et sans discuter davantage le fit conduire au cachot.

Pourquoi tant de rigueurs, et comment expliquer ces représailles tardives contre un ennemi vaincu ? S’il faut en croire d’autres pri-