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ardus que l’administration anglaise ait à résoudre. C’est surtout de la question de salubrité qu’il devra se préoccuper. La dyssenterie, le choléra, les fièvres, sont des maladies endémiques dans le delta, et il ne peut en être autrement avec le genre de vie que mènent les habitans. Beaucoup de villages sont au milieu des marais, et pendant plusieurs mois une partie du pays est noyée ; l’eau à boire, pendant les chaleurs, est chargée de détritus organiques et de matières insalubres. La mauvaise nourriture des habitans ne leur permet pas de résister à l’influence délétère des miasmes qu’ils respirent ; la graisse leur fait absolument défaut, et le sol est insuffisant à entretenir la charpente humaine. La cachexie succède aux fièvres, et, le corps affaibli, la face bouffie, ils deviennent incapables d’aucun effort physique ni moral. La maladie la plus remarquable est l’éléphantiasis, qui affecte également les hommes, les femmes et les enfans ; elle consiste dans un accroissement anormal des extrémités, accompagné d’accès de fièvre et d’inflammation des glandes lymphatiques. La petite vérole fait également de grands ravages, car les Indiens repoussent la vaccine.

On voit, par ce qui précède, en présence de quelles difficultés se trouve le gouvernement anglais dans l’Inde, et à quelles dépenses il est entraîné pour assurer sa domination. C’est un lieu-commun de dire que, si la race anglo-saxonne est plus apte à coloniser que toute autre, c’est parce qu’elle refoule les indigènes, auxquels elle se substitue. Nous venons de voir que, loin de repousser les Indiens et de les anéantir, l’Angleterre s’efforce au contraire de leur conserver leur autonomie, et qu’elle exerce autant que possible son autorité par l’intermédiaire des chefs indigènes. Nous avons vu aussi que le système d’abstention qu’elle voulait pratiquer d’abord a des limites, que tous les jours de nouveaux intérêts surgissent qui l’obligent à intervenir de plus en plus directement. C’est la salubrité publique à sauvegarder, des voies de communication à ouvrir, les inondations à prévenir, les famines à conjurer, des écoles à créer pour répandre l’instruction dans le peuple, la sécurité des personnes à assurer au moyen d’une police organisée, en un mot ce sont tous les services que réclament les peuples civilisés qu’il faudra successivement établir. L’Angleterre a conquis l’Inde par la force, son honneur exige qu’elle la conquière aujourd’hui sur les fléaux qui en compromettent l’existence ; N’est-ce pas le cas de rappeler le mot de Wellington : « ce serait un crime que de mal gouverner l’Inde ; mais c’est la ruine que de la gouverner bien. »


J. CLAVE.