Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/905

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelques parties montagneuses occupées par les Aryens, il prit la forme hautement spiritualiste du jainisme ; ailleurs, il se confondit avec le culte de Vichnou, qui impose aux fidèles l’adoration du soleil ou de l’une des autres incarnations de la Divinité. A Orissa, ce dernier supplanta peu à peu tous les autres, grâce à la facilité avec laquelle il admit dans ses temples tout le panthéon indien. Par l’ingénieuse invention des incarnations successives, Vichnou se trouve être le centre d’un cycle entier de systèmes religieux, et confond parmi ses adorateurs des hommes appartenant aux races les plus diverses et aux civilisations les plus éloignées. Sans perdre son identité, il cumule les attributs de neuf des dieux les plus populaires de l’Inde, et ses prêtres ont une dixième incarnation en réserve pour mettre d’accord les superstitions du peuple avec le théisme, que l’éducation anglaise a répandu dans les classes élevées. Le vichnouvisme se prête ainsi à toute évolution religieuse. Loin de prétendre à l’immuabilité, il accepte les idées nouvelles sans renier l’idée première ; il construit de nouveaux temples à de nouveaux dieux sans abattre les anciens, et allie les innovations les plus radicales au conservatisme le plus prononcé. Malheureusement, au lieu de rester dans cette région si élevée et si philosophique, les prêtres ont accepté également les rites, les superstitions et les cérémonies grotesques ou ignobles des autres cultes. Ils ont eux-mêmes perdu de leur caractère spirituel, et se sont abandonnés aux jouissances de ce monde, au désir d’accroître leurs richesses.

Orissa a toujours été considérée comme la terre-sainte des Hindous. Les anciens livres ne tarissent pas sur ce pays enchanteur : ses heureux habitans sont sûrs d’entrer dans le monde des esprits, les eaux sacrées de ses fleuves effacent les péchés de ceux qui s’y plongent, les fleurs y sont odorantes, les fruits exquis ; quel plus grand éloge d’ailleurs peut-on en faire que de dire que Dieu lui-même a daigné l’habiter ? On trouve des temples pour tous les cultes, des pèlerinages pour tous les dévots. Chaque circonscription administrative possède une communauté de cénobites, chaque village a des terres affectées au clergé. Des milliers de monastères couvrent la province, et l’étranger lui-même qui parcourt le pays s’aperçoit aussitôt qu’il est sur une terre sacrée.

C’est à Puri, la ville aimée de Vichnou, que se trouve le temple de Jagannath, objet de la vénération universelle. Construite sur le rivage même de la mer, protégée d’un côté par les brisans, de l’autre par des marais et des inondations, cette ville s’est presque toujours trouvée à l’abri des invasions. Après avoir été pendant dix-huit siècles le refuge de la religion hindoue, elle est devenue la ville