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précipitent de tous côtés dans le lac, en chassent l’eau de la mer, et le transforment en un lac d’eau douce. Pendant les six mois que souffle la mousson du sud, l’Océan pousse vers le rivage des amas de sable tiré de ses profondeurs et soutient une lutte violente avec le fleuve ; il en repousse les eaux, et les force à déposer la vase dont elles sont chargées. Lorsque le fleuve remporte, celui-ci refoulé à son tour l’Océan et se creuse un canal à travers les bancs de sable accumulés ; enfin, lorsque ces forces opposées viennent à s’équilibrer, la mer forme une barre à quelque distance de l’embouchure du fleuve, qui abandonne des dépôts à droite et à gauche et augmente son delta. Par leur antagonisme même, la mer, qui rejette son sable, et les rivières, qui charrient de la vase, concourent ensemble à l’accroissement successif de la terre aux dépens de l’eau. Toute la côte du Bengale présente ainsi une série de promontoires reliés entre eux par des baies arrondies dont le fond est occupé par l’embouchure des fleuves. Lorsque par l’élargissement de son lit le fleuve a perdu de sa force, la victoire définitive reste à la mer ; alors les marées chargées de sable et les courans de la baie font surgir au travers de l’embouchure un banc qui arrête l’écoulement des eaux et qui forme un lac intérieur. Telle a été l’origine du lac Chilka, qui peut être regardé comme une ancienne baie du golfe de Bengale en voie d’atterrissement. La bande de sable qui le sépare de la mer n’avait, il y a cinquante ans, que 1 kilomètre à peine de large, elle en a 3 aujourd’hui. En 1780, elle avait encore une ouverture susceptible d’être franchie par les grands bâtimens ; en 1825, il a fallu creuser un canal artificiel qui est déjà presque comblé. — Toute la plaine d’Orissa, sur une largeur de 80 kilomètres, a une formation analogue.

En général, à l’embouchure des fleuves du Bengale, le sol est couvert de jungles épais, entrecoupés de canaux d’où s’échappent des miasmes pestilentiels. On dirait que la nature s’est arrangée pour faire son œuvre en secret, et qu’elle ne veut pas être troublée dans ses créations. Quand cette œuvre est finie, et que les continens sont créés, elle les livre à l’homme ; mais jusque-là elle l’éloigné par des exhalaisons méphitiques. Le Mahanadi semble pourtant faire exception, car les terres à peine émergées sont envahies par des populations que pousse en avant le flot humain du continent. Autour du lac Chilka en effet habitent des communautés d’hommes aussi divers dans leur nature et leur histoire que les formations géologiques qui l’entourent. Sur le bord occidental, où les montagnes surplombent le lac, dés races sauvages vivent comme elles peuvent au milieu des jungles, chassant, coupant les bois, faisant la guerre aux bêtes sauvages et cultivant leurs vallées