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de Darwin ; mais c’est un travail que nous avons déjà fait et auquel nous renvoyons le lecteur[1]. Disons seulement que le système de Darwin, loin d’exclure l’hypothèse des causes finales, nous paraît l’exiger impérieusement, sous peine de faire jouer au hasard un rôle exorbitant., Ce serait alors la formation des espèces qui serait une œuvre d’art ; nous n’aurions qu’à y appliquer ce que nous avons dit de la formation de l’individu, et, l’œuvre étant bien autrement compliquée, puisqu’il s’agit de la totalité des êtres vivans, l’argument n’en serait que plus fort. D’ailleurs cette hypothèse repose elle-même sur l’analogie de l’art et de la nature, puisqu’elle prête à celle-ci une sélection semblable à la sélection artificielle de nos éleveurs, c’est-à-dire une véritable industrie. Ici encore, l’art humain ne serait que le prolongement et l’imitation de l’art naturel, et celui-ci le pressentiment, ou plutôt le type et le modèle de celui-là.

On ne peut donc échapper à l’obsession de cette idée, qu’il y a un art dans la nature ; or tout art suppose un artiste, Que cet artiste soit, comme le supposait Aristote, la nature elle-même, ou qu’il soit extérieur et supérieur à la nature, qu’il agisse par instinct et pour ainsi dire par inspiration, ou qu’il agisse avec prévoyance et suivant un plan préconçu, c’est un nouveau problème qui se présente ; c’est un nouvel ordre de recherches qui s’impose aux métaphysiciens, et dont la solution suppose d’autres considérations que celles qui précèdent. Quelle que soit la solution que, l’on donne de ce problème, toujours est-il que l’art de la nature est aussi évident que l’art humain : sur ce terrain commun, théisme et panthéisme peuvent et doivent s’entendre contre le matérialisme, et ils ont un intérêt commun.

puant à choisir entre ces deux hypothèses, celle d’un instinct primordial inhérent à la nature, ou celle d’une pensée suprême supérieure à la nature, n’oublions pas qu’Aristote, en soutenant la première, la rattachait en même temps à la seconde, car, s’il prêtait à la nature un art secret et intérieur, incapable de délibération et de réflexion, c’était cependant par l’action mystérieuse de la pensée suprême que cet instinct artiste de la nature était sollicité et même dirigé : c’était le désir aveugle sans doute et sans conscience, mais déterminé par la cause souveraine et par l’attrait irrésistible du bien, qui entraînait la nature à monter de forme en forme et d’être en être jusqu’à ce bien suprême, en créant progressivement à chaque degré de l’échelle les moyens dont elle avait besoin pour

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1863.