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dans ce tout absolu. L’organisme n’est qu’un tout relatif : ce qui le prouve, c’est qu’il ne se suffit pas à lui-même, et qu’il est lié nécessairement à un milieu extérieur ; dès lors les modifications de ce milieu ne peuvent point ne pas agir sur lui, et si elles peuvent agir dans le cours de la croissance, il n’y a pas de raison pour qu’elles n’agissent pas également lorsqu’il est encore à l’état de germe. Il en résulte des déviations primordiales, tandis que les altérations qui ont lieu plus tard ne sont que secondaires, et si les monstruosités continuent à se développer aussi bien que les êtres normaux, c’est que les lois de la matière organisée continuent leur action lorsqu’elles sont accidentellement détournées de leur but, ainsi qu’une pierre lancée qui rencontre un obstacle change de direction et poursuit néanmoins sa course en vertu de la vitesse antérieurement acquise.

Le vrai problème pour le penseur, ce n’est pas qu’il y ait des monstres, c’est qu’il y ait des êtres vivans ; de même que ce qui m’étonne, ce n’est pas qu’il y ait des fous, mais c’est que tous les hommes ne naissent pas fous, l’œuvre de construire un cerveau pensant étant abandonnée à une matière qui ne pense pas. — Ils ne vivraient pas, dira-t-on, s’ils naissaient fous. — Aussi dirai-je : comment se fait-il qu’il y ait des hommes, et qui pensent ? — Le germe oscille, nous dit-on, entre les monstruosités et la mort. — Qu’il oscille tant qu’il voudra, il se fixe cependant, car la vie l’emporte sur la. mort, puisque les espèces durent, et que, d’oscillation en oscillation, la nature est arrivée à, créer la machine humaine, laquelle à son tour crée tant d’autres machines. Le tâtonnement d’une nature, aveugle peut-il, quoi qu’on fasse, aller jusque-là ? Même dans l’humanité, les tâtonnemens ne réussissent à produire d’effets déterminés et à profiter des chances heureuses qu’à la condition d’être, conduits et limités par l’intelligence. C’est ainsi par exemple que l’empirisme, et non la science, a trouvé, dans les âges précédent la plupart de nos. procédés industriels. C’est une suite de chances heureuses, si l’on veut, et non un art réfléchi et systématiquement conduit, qui a mené à de tels résultats ; mais agi moins fallait-il une intelligence pour remarquer ces chances heureuses, et pour les reproduire à volonté. On raconte que l’un des plus curieux perfectionnemens de la machine à vapeur est dû à l’étourderie d’un jeune enfant, qui, voulant aller flâner, imagina je ne sais quel jeu de ficelles pour suppléer à sa présence et à sa surveillance : invention qui plus, tard fut mise à profit. C’est là un hasard ! dira-t-on ; non, sans doute, car déjà fallait-il une intelligence, pour inventer cet artifice, et il en fallait encore pour le remarquer et l’imiter. Jetez au hasard dans un creuset les élémens dont se