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hardis n’ont pu échapper au prestige de cette preuve. Voltaire, malgré les plaisanteries de Candide, y était très attaché, et ses amis les encyclopédistes l’appelaient en le raillant le cause-finalier.

Un argument si ancien et si universel, qui a pu réunir Fénelon et Voltaire dans une adhésion commune, que Kant lui-même, tout en le critiquant à certains égards, ne mentionne jamais sans une respectueuse sympathie, aura toujours une force persuasive et victorieuse ; il sera toujours utile et intéressant de le remettre sous les yeux des hommes en l’appuyant par des exemples nouveaux. Toutes les générations doivent pouvoir lire les Harmonies de la nature dans un langage approprié à l’état de la science. Aucun philosophe ne peut regarder comme au-dessous de lui une œuvre qui exige à la fois de vastes connaissances, une sérieuse intelligence du problème et un tact assez exercé pour se faire accessible à tous sans abaisser la dignité de la science et sans altérer la vérité des faits. Ce sont là les mérites du livre récent de M. Charles Lévêque sur les Harmonies providentielles, œuvre écrite à la fois avec solidité et imagination. Moins brillant que Bernardin de Saint-Pierre, l’auteur est plus exact et mérite plus de crédit. Son livre obtiendra une place distinguée parmi les bons travaux de théologie physique, plus rares en France que dans les autres pays. Ceux que nous possédons en ce genre sont d’ailleurs en général plus éloquens que démonstratifs. Le Traité de l’existence de Dieu de Fénelon, par exemple, est sans doute un très beau livre ; mais Fénelon, charmant écrivain, métaphysicien raffiné et profond, n’était pas versé dans les sciences : les faits qu’il cite sont peu nombreux et beaucoup trop vagues, et il s’appuie plus souvent sur l’ignorance que sur la science pour nous faire admirer les merveilles de la nature. Les Études et les Harmonies de Bernardin de Saint-Pierre sont plus riches de faits, l’auteur a sans doute une science variée et étendue ; seulement c’est une science aventureuse et poétique, trop souvent inexacte, et l’on ne peut se fier à des affirmations qui sont ou peuvent être à chaque pas mêlées d’erreurs. Enfin les abus manifestes que ces deux auteurs ont faits des causes finales, et qui, chez le second, vont quelquefois jusqu’au ridicule, compromettent sérieusement la cause même qu’ils défendent. Le livre de Ml Charles Lévêque au contraire, exempt de ces défauts, est nourri de la science la plus solide ; les faits y sont bien choisis, exposés avec simplicité, les difficultés ne sont pas éludées, et, quoique le cadre du livre n’ait pas permis une discussion complète, elles sont abordées et résolues avec, netteté et précision. On dira que c’est là de la philosophie populaire. C’est un grand éloge. La vraie philosophie est celle qui sait se faire toute à tous, et qui peut parler à la