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racoleurs qui sont aux aguets, voyagent en province et leur amènent des enfans intelligens, ouverts à l’étude, mais dont les parens ne sont pas assez riches pour acquitter le prix de la pension et les frais universitaires. Ces jeunes phénix sont reçus, élevés, instruits pour rien ; ils paient en prix et en accessits. Certes c’est un grand bienfait pour eux ; mais quel labeur, et à quelle existence sont-ils condamnés ! Pas de sortie le dimanche, pas de promenade le jeudi ; du grec, du latin, du latin, du grec, toujours et sans trêve ! Un jour, un de ces malheureux demandait à passer la fête de la Pentecôte dans sa famille ; on lui répondit : « Y pensez-vous ? Le concours approche ; sachez au moins reconnaître les sacrifices qu’on fait ici pour vous. » J’en ai connu plusieurs qui sont devenus célèbres et qui ne parlent de ce temps-là qu’avec horreur. Parfois cela tourne assez mal pour le chef d’institution. Une mère fort adroite et peu scrupuleuse avait fait entrer son fils au pair, — cela se dit ainsi, — dans un établissement privé ; l’enfant, dès la première année, obtint trois prix au concours général. La mère fit Mme de vouloir le placer dans une maison rivale, et elle joua si bien son rôle que le directeur lui constitua une pension annuelle de 1,200 fr. à la condition de ne pas retirer son fils.

On voit le résultat le plus clair du concours général ; l’instruction des neuf dixièmes des écoliers est outrageusement négligée au profit du très petit nombre qui peut augmenter la réputation ou la vogue d’un établissement scolaire ; mais qui oserait parler de le supprimer ? On peut affirmer que les 7,500 élèves qui suivent les cours de nos six grands lycées et du petit lycée de Vanves, que les 13,000 qui sont dans les pensions particulières et les 2,200 qui sont répandus dans les institutions relevant de l’autorité ecclésiastique, donnent un contingent studieux singulièrement restreint. Ceux-là seuls travaillent qui se destinent aux écoles spéciales, et encore ils se limitent strictement aux connaissances exigées par les examens. Les autres traînent une enfance oiseuse et pervertie sur les gradins des classes, où ils peuvent végéter à la condition de ne pas trop troubler la discipline. Quand l’âge d’avoir terminé leurs études aura sonné, ils apprendront par cœur un manuel de baccalauréat, afin de subir sans échec cette formalité aussi facile que superflue, puis ils entreront dans la vie, et Dieu seul peut savoir à quoi leur servira cet enseignement, dont ils n’auront retiré qu’un ennui qui a duré huit ans.

Plus d’une fois on a cherché à modifier les méthodes, à les rendre plus pratiques, plus vivantes, et à donner une sérieuse utilité au long apprentissage de l’enfance. Une tentative surtout est restée célèbre : c’est la fameuse bifurcation entreprise par