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testateur. — Le procès avait duré longtemps, car la première distribution eut lieu le 23 août 1747 ; elle se renouvela sans interruption, excepté de 1794 à 1800. En 1793, chaque lauréat reçut une couronne de chêne et — un exemplaire de la constitution ! Depuis 1801, cette cérémonie s’est régulièrement continuée tous les ans. C’est la grande fête de l’enseignement secondaire, et c’est de là malheureusement que les maisons scolaires publiques ou privées tirent leur bonne ou leur mauvaise réputation. Les conséquences sont fort graves.

Plus une institution ou un lycée obtient de prix au concours général, plus il voit de familles lui confier d’enfans. Aussi ce n’est pas entre les élèves, c’est entre les chefs d’établissemens que le concours excite plus que de l’émulation ; les proviseurs de collège et les chefs de pension rivalisent de zèle, car pour les uns c’est une question de gloriole, pour les autres c’est une question d’argent. A cela, il n’y aurait pas grand mal, si, afin de parvenir à ces prix tant enviés, on ne négligeait absolument la masse des élèves pour ne s’occuper exclusivement que de ceux qui, par leur intelligence plus développée ou leur travail plus assidu, sont aptes à être couronnés par la main du ministre lui-même, au son de la musique, dans la grande salle de la Sorbonne. Dans une classe composée en moyenne de cinquante élèves, le professeur en soigne attentivement, en chauffe sept ou huit qui ont chance de réussir dans les compositions solennelles. « Aller au concours » est une locution qui revient incessamment dans le langage de tous les pédagogues de l’enseignement secondaire. Les autres élèves, pendant qu’on bourre leurs camarades favorisés de grec et de latin, lisent de mauvais romans[1]. Pour les maîtres de pensions particulières, avoir des prix au concours devient l’affaire vitale, et, plus encore que dans les collèges, tout y est sacrifié. L’âpreté au gain les surexcite à tel point qu’il n’est pas d’efforts dont ils ne soient capables, afin de pouvoir faire insérer des réclames retentissantes à la troisième page des grands journaux, où ils énumèrent complaisamment tous les succès que leurs élèves ont remportés. C’est pour eux une sorte de nécessite, ils y gagnent leur vie, et bien souvent y font fortune. Cette excessive ambition a du moins un bon côté qu’on ne soupçonne guère ; comme il faut que leur maison soit célèbre, du moins qu’elle ait meilleur renom que la maison voisine, ils ont des

  1. En 1817, M. Saisset, professeur de philosophie au collège Henri IV, quittait sa chaire, venait s’asseoir devant le premier gradin, où il avait réuni les six plus forts, et leur faisait la leçon à voix basse ; quand les autres écoliers parlaient trop haut, il s’interrompait pour leur dire : « Ne faites pas tant de bruit, vous nous empêchez de causer. »