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constitutive, et leur remettre, au lieu de livres de prix, des livrets de caisse d’épargne, qui seront un encouragement pour eux et pour leurs parens, on les fera soigner gratuitement lorsqu’ils seront malades, on arrivera même à leur ouvrir des carrières industrielles que la pauvreté leur interdit. Malheureusement, pour remplir la caisse, c’est à l’initiative individuelle qu’on s’adresse, — avec discrétion, afin de ne point l’effaroucher, car on sait qu’elle est volontiers récalcitrante. C’est là cependant une œuvre sérieuse et très bonne à laquelle il est généreux et opportun de s’associer ; il m’est pénible de dire qu’elle est accueillie avec indifférence, et que dans certains arrondissemens, malgré le dévoûment et l’appel réitéré des maires, elle ne produit pas ce qu’on est légitimement en droit d’attendre. Je prendrai pour exemple le VIIIe arrondissement, — je le connais spécialement, et je n’avance rien d’excessif en disant que c’est un des plus riches de Paris ; — en 1872, on n’y a récolté que 20,390 francs, offerts par 231 donateurs ; c’est fort médiocre et peu en rapport avec les grandes habitations des Champs-Elysées, du boulevard Haussmann, du boulevard Malesherbes et du faubourg Saint-Honoré.

Ce grand mouvement qui part de la direction de l’enseignement primaire, à la ville, qui est noblement encouragé par le conseil municipal et favorisé par les maires, atteindra-t-il son entier développement sans rencontrer d’obstacles ? Je voudrais pouvoir l’affirmer, mais nous avons vu poindre une question qui peut paralyser tant de beaux efforts. Beaucoup d’esprits sérieux veulent que l’instruction soit exclusivement laïque. Il ne faut pas se faire illusion, il ne s’agit pas seulement de rapporter la loi du 15 mars 1850 et de déposséder les congréganistes du droit d’enseigner ; on veut aller beaucoup plus loin, et supprimer de l’éducation tout ce qui a trait à la religion catholique, car l’enseignement laïque actuel comporte l’étude de l’histoire sainte et du catéchisme. Or je crois qu’à tous degrés l’enseignement doit être libre, parce que là liberté crée la concurrence, que la concurrence détermine l’émulation, et que l’émulation engendre le progrès. Tout corps privilégié s’endort fatalement dans ce qu’il appelle la tradition, c’est-à-dire dans la paresse, et ne produit plus ; on sasse, on ressasse, et l’on tourne dans le même cercle où les esprits les plus vifs ne tardent pas à s’étioler. Il est donc fort utile que l’université et le clergé se trouvent face à face, ne serait-ce que pour se réveiller mutuellement ; mais à un autre point de vue on peut être surpris que cette question ait été soulevée. Car il y a autant d’intolérance à empêcher un homme d’aller à la messe qu’à le forcer d’y aller. Ce qu’il y a d’inconcevable, c’est que ceux qui demandent l’enseignement exclusivement