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à charger : le danger le grisait. En vain Hoff veut-il l’arrêter, lui faire entendre raison ; il fallut l’entraîner de force, à coups de pied, à coups de poing, sous une grêle de balles qui hachaient les buissons. Parvenu à l’autre bout de la plaine, il n’était pas encore calmé. Plus tard, il reconnut sa folie, car il avait vu la mort de bien près, et comme après tout il avait du bon, suivant les termes du sergent, celui-ci voulut bien s’occuper de lui : il apprit l’escrime du sabre et de la baïonnette, et en peu de temps réussit à faire un vrai soldat. Il a suivi Hoff plusieurs fois, et a reçu la médaille militaire.

Chaque jour amenait ainsi quelque audacieuse tentative qui inquiétait l’ennemi. Le coup venait -il à manquer, — persévérant comme un Peau-Rouge, Hoff patientait un peu, puis recommençait sur de nouveaux plans. Tôt ou tard, si méfians qu’ils fussent, les Prussiens se laissaient prendre à ses ruses. En effet, pour leur faire du mal, il n’y avait pas de tour qu’il n’imaginât. Ne s’avisa-t-il pas un jour de les effrayer avec du gros plomb ? De l’autre côté de la Marne, en face du Perreux, règne une longue haie vive couvrant un enclos planté d’arbustes ; c’est ce qu’on appelle la Pépinière. Au derrière de la haie, les Prussiens avaient creusé des tranchées, et de là, bien abrités, défiant les balles, ils tiraillaient tout à leur aise. Le Perreux n’était pas tenable, personne ne pouvait plus sans péril s’aventurer près du fleuve ; déjà des gardes nationaux, des mobiles, avaient été tués, et leurs cadavres abandonnés pourrissaient sur la berge. Hoff cette fois semblait joué. En secret il dépêche un des siens à Paris, et avec l’argent de sa paie se fait apporter pour neuf francs de plomb numéro 5, — celui qui sert à tirer le chevreuil, — puis il embusque ses hommes. Chacun, par-dessus la cartouche ordinaire, glisse une bonne charge de plomb, et au signal donné toute la bande tire à la fois. Le succès fut complet : le plomb sifflait, bruissait, les branches volaient en éclats, la haie entière semblait s’agiter. Que durent s’imaginer les Prussiens ? Virent-ils là quelque mitrailleuse d’un nouveau genre ? Toujours est-il qu’ils détalèrent bien vite et ne revinrent plus.

Quelquefois avec de la paille, une vieille tunique, un pantalon rouge, nos rusés compères, tant bien que mal, confectionnaient un mannequin, on coiffait le tout d’un képi, et cela servait à occuper les Prussiens. Le lieu de la scène était bien choisi : c’étaient d’ordinaire ces jardins en terrasse qui bordent la Marne au-delà du Perreux, et qui tous alors étaient reliés entre eux par de vastes brèches. Lentement, posément, deux bras hissaient le bonhomme au-dessus d’un mur, la tête rouge se laissait voir un moment, disparaissait, montait, puis s’éclipsait encore pour reparaître un peu plus loin. Pendant ce temps, les camarades guettaient, et si, trop curieux, un casque à pointe ou un béret bleu se trahissait à l’ho-