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dernières années du second empire. En 1829, la France possède 30,796 écoles primaires publiques, — 32,520 en 1832, — 43,843 en 1850, — 53,820 en 1868. Donc, en quarante ans, le chiffre n’a augmenté que d’un peu plus des deux tiers. Nous sommes loin encore à cette heure d’avoir atteint le nombre total des écoles qui seraient indispensables pour satisfaire aux besoins qui s’imposent chaque jour avec une intensité croissante.

Pour bien se rendre compte du degré d’instruction — ou d’ignorance — de notre pays, il faut jeter les yeux sur une carte dressée-en 1866, au ministère de l’instruction publique, et représentant les départemens teintés selon le nombre des conscrits illettrés appartenant à la classe de 1864 : sept départemens ou le nombre des illettrés est au-dessous du vingtième, — onze où le nombre varie entre le vingtième et le dixième, — vingt-deux flottant entre le dixième et le quart, — vingt-trois entre le quart et le tiers, — vingt-six où le total des illettrés dépasse le tiers et même la moitié. Sur cette lamentable liste, la Meurthe est au premier rang 2 illettrés 32 sur 100 ; au dernier, je vois l’Ariège : 66.65 sur 100 ; la Seine n’arrive que la treizième avec 7.04 sur 100[1]. Les choses se sont bien peu modifiées depuis cette époque. On a fait de généreuses tentatives pour doter toutes nos communes des écoles primaires dont elles ont besoin, mais on s’est brisé contre l’apathie naturelle aux paysans, contre l’indifférence des municipalités, contre la vieille idée que le temps passé à apprendre est du temps perdu qui ne rapporte rien. Les efforts ont échoué surtout et échoueront infailliblement encore contre des obstacles matériels qu’il est du devoir du pays de vaincre à force d’argent. C’est là le plus pressé, il faut y courir.

On pourra, sans difficultés trop sérieuses, imposer l’instruction à tous les enfans : les parens qui n’obéiront pas à la persuasion céderont à l’amende et aux peines coercitives ; mais, pour exercer l’enseignement, il faut deux choses indispensables, un local pour abriter les élèves et un maître pour les instruire. Or les écoles sont tellement défectueuses que plus d’un paysan hésiterait à y remiser son bétail, et l’on rétribue si misérablement le labeur ingrat des instituteurs, qu’on s’expose à n’en plus trouver et à voir tarir la source de ce recrutement si précieux. Les communes, trop pauvres ou peu intelligentes, refusent de payer ; on s’adresse au département, qui regarde volontiers du côté des dépenses d’apparat et fait

  1. Elle est précédée par la Meurthe, la Haute-Marne, le Doubs, la Meuse, les Vosges, le Bas-Rhin, l’Aube, le Jura, le Haut-Rhin, les Hautes-Alpes, la Côte-d’Or et la Haute-Saône. La situation de la Seine est meilleure aujourd’hui ; elle deviendra tout à fait bonne, si l’on persiste dans la voie où l’on est entré.