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théorique qui aborda de front tous les problèmes et n’en sut résoudre que bien peu. Dans un décret du 18 août 1792, l’assemblée législative avait détruit toutes les corporations, « même celles qui, vouées à l’enseignement public, ont bien mérité de la patrie. » En 1793, on proclame la liberté de l’enseignement ; on n’organise pas les écoles, mais on punit les parens qui n’y envoient pas leurs enfans ; en 1794, on déclare que l’enseignement est gratuit, et en 1795 on n’accorde à l’instituteur d’autre traitement que la rétribution consentie par les familles. Un décret neutralisait l’autre : enseignement obligatoire sans écoles, gratuité pour l’élève, gratuité pour le maître. La révolution voulut l’enseignement, ne fit rien pour le créer, et détruisit celui qui existait. On peut penser ce qu’était l’école dans la cacophonie de ces contradictions légales. « D’après les rapports des conseils (en 1796), il est constaté que ces systèmes révolutionnaires et savans d’éducation ne font pas. de progrès, qu’il y a maintenant des districts de 80,000 habitans où l’on ne peut se procurer un maître d’école, et que dans quelques-unes des plus grandes villes de province les précepteurs ne savent pas l’orthographe[1]. »

Sous la restauration et sous le gouvernement de juillet, on commence à s’occuper d’une façon moins platonique de l’enseignement primaire. L’ordonnance du 29 février 1810, la loi du 28 juin 1833, donnèrent aux études élémentaires une impulsion qu’elles n’avaient pas encore reçue ; c’était le temps de la méthode Jacottot, de l’enseignement mutuel, et de bien d’autres systèmes qui n’existent plus guère que dans le souvenir. Lorsqu’on discutait à la chambre des pairs la loi de 1833, Victor Cousin n’hésita pas à déclarer que l’obligation lui paraissait devoir être adoptée ; en effet, il était puéril de s’arrêter devant des considérations spécieuses qui n’ont fait reculer ni la Suisse, ni l’Allemagne, ni la Suède, ni tant d’autres pays. En 1849, on faillit résoudre affirmativement cette grosse question. Une loi fut présentée à cet effet par M. Carnot ; la commission, où siégeaient MM. Boulay de la Meurthe, Jules Simon, Rouher, Wolowski, Conti, avait adopté le principe de l’obligation ; M. de Falloux retira la loi. La matière fut réglée par la loi du 15 mars 1850, qui établissait la liberté de l’enseignement, mais passait l’obligation sous silence, tout en assurant par l’article 14 la gratuité aux enfans indigens. On peut savoir exactement quelle part chacun des gouvernemens qui se sont succédé en France depuis soixante ans a prise à la création des écoles ; on a des documens précis qui, partant de la fin de la restauration, aboutissent aux

  1. Taine, Lettres d’un témoin de la révolution, p. 235.