Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/797

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’état où nous sommes, on reconnaît que la France est atteinte de trois maladies graves qui promptement deviendraient mortelles, si l’on n’y portait un remède énergique et rationnel. Ces trois maladies sont l’ignorance, l’indiscipline et la présomption ; celles-ci sont fatalement engendrées par la première. Or le remède, c’est l’instruction : elle tue l’ignorance, discipline l’âme et rend modeste, car elle apprend à se comparer et non pas à se contempler, ce à quoi, pour notre malheur, nous avons toujours excellé.

L’instruction est le saint même de l’humanité ; elle a pour but et pour résultat d’élever l’homme au-dessus de ses instincts naturels, de lui procurer un instrument de travail général et de le mettre à même de trouver dans ses facultés, fécondées par l’étude, le moyen de subvenir aux exigences de la vie, et de remplir les devoirs qui sont imposés à l’individu dans toute société civilisée. Jamais l’instruction n’est assez répandue, jamais assez multiple, jamais assez profonde : ceux qui en ont peur sont des niais ; la force obtuse de l’ignorance est plus redoutable que les ambitions souvent désordonnées du demi-savoir.


I. — L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE.

Le premier réformateur scolaire est un réformateur religieux, Jean Huss, qui impose à tous ses disciples l’obligation de lire eux-mêmes la Bible traduite en langue vulgaire. C’est l’enseignement primaire élevé à l’état de dogme. Toutes les sectes protestantes issues de Zwingli, de Luther, de Calvin, adoptèrent, sans même le discuter, le principe formulé par celui qui mourut sur le bûcher de Constance. Si la France n’est pas entrée dans cette voie féconde où ses voisins immédiats de la Suisse et de l’Allemagne la précédaient, elle le doit à la Saint-Barthélémy, à l’acte du 15 juillet 1593 et à la révocation de l’édit de Nantes. L’esprit du protestantisme se fait jour en 1560 aux états d’Orléans ; la noblesse y demande qu’il soit levé a une contribution sur les bénéfices ecclésiastiques pour raisonnablement stipendier des pédagogues et gens lettrés, en toutes villes et villages, pour l’instruction de la pauvre jeunesse du plat pays, et soient tenus les pères et mères, à peine d’amende, à envoyer lesdits enfans à l’école ; et à ce faire soient contraints par les seigneurs ou les juges ordinaires. » Il est difficile de formuler plus nettement le système de l’enseignement obligatoire.

On devait attendre longtemps avant de voir reprendre ces idées, si simples qu’aujourd’hui elles nous paraissent naturelles. Il fallut la révolution française, la convention et ce grand mouvement