Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/794

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

population depuis longtemps déshabituée des armes qu’on les a trouvés.

L’insurrection de 1821 a eu d’ailleurs des conséquences politiques qu’on n’en attendait pas. Elle a secondé puissamment les projets de réforme du sultan. Ni la guerre de 1769, ni celle de 1790 n’avaient été pour la Turquie une leçon suffisante. Ce fut la régénération de la Grèce qui amena la transformation de la puissance ottomane. Si l’empire échappe à la ruine qui le menace encore, il ne le devra qu’à la secousse que lui ont imprimée ces événement où l’Europe avait cru entrevoir les signes avant-coureurs d’une chute irrémédiable. Comme la mosquée de Sainte-Sophie, la Turquie s’est raffermie sur sa base, après un tremblement de terre ; mais, comme la vieille basilique, elle en est restée légèrement déjetée. Il faut aujourd’hui la redresser et l’asseoir carrément sur des institutions nouvelles. Les documens que j’ai rassemblés me permettront de mener de front cette double étude : l’influence de la guerre de l’insurrection sur l’avenir de la Grèce chrétienne et sur celui de la Turquie musulmane. J’espère que l’attention du lecteur ne se lassera pas des développemens où pourra m’entraîner un si vaste sujet.

Je ne suis pas de ceux, je l’avoue, qui conseilleraient à la France, dans la crise douloureuse qu’elle traverse, de se désintéresser de tout ce qui ne la touche pas directement. Je n’ai pas, comme tant d’autres, le remords de notre générosité. C’est à notre humeur sympathique, à notre esprit humain et chevaleresque, que nous devons la place importante qui nous a été faite dans le monde. Ne nous corrigeons pas de nos heureux défauts ; ne croyons pas que le bien opéré puisse jamais tourner au détriment de la nation qui, négligeant des intérêts égoïstes, a su courageusement l’accomplir. Il y a d’étonnans retours de fortune pour les peuples qui ont contribué au progrès de l’humanité. La Grèce en offre un éclatant exemple. La France, — un poète l’avait déjà fait ressortir, — n’a eu d’égal à ses grandeurs que ses adversités ; mais le souvenir de ses œuvres s’est toujours interposé à temps entre elle et ses ennemis. Nous sommes prompts à douter de nous-mêmes ; nous montrons un fatal penchant à nous calomnier, et on pourrait citer telle époque de notre longue et glorieuse histoire où la moitié de la France ne fut occupée qu’à déshonorer l’autre. Ce qui me console, c’est que l’étranger ne nous croit pas. Il faut avoir voyagé dans ces pays où passa notre épée et où la mémoire de nos bienfaits, quoi qu’on en puisse dire, subsiste, pour savoir ce que le monde attend encore de nous ; on dirait que l’inquiétude inspirée par nos revers n’a fait que raffermir le sentiment de notre nécessité.

Le monde sans la France, ce serait l’univers sans flambeau. On le