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et positions militaires, des milliers d’Asiatiques auront à combattre une population entière qui va trouver à s’armer. Les Albanais de 1770 auraient été plus redoutables sans doute, et leurs fils n’ont point dégénéré ; mais ils sont ; aujourd’hui divisés et sans chefs. Quand de tels hommes suivent un pacha, c’est avec l’espérance de piller sans danger plutôt qu’avec la certitude de combattre sans profit. La population grecque des provinces européennes trouve aujourd’hui un auxiliaire puissant dans la nécessité où elle s’est mise de n’être pas vaincue pour n’être pas exterminée. Quant aux Grecs d’Asie, il est plus triste que difficile de conjecturer quel sera le sort de beaucoup d’entre eux. »

Le début de toutes les insurrections est généralement rempli d’espérance : on dirait un printemps qui se couronne de fleurs ; les épreuves ne viennent que plus tard. Pour la Grèce, ces épreuves se présentèrent avant la fin de la première campagne. Les années qui suivirent ne firent que les aggraver. Les efforts croissans de l’ennemi, les progrès de sa discipline, le désordre qui à la même époque s’introduisait dans les rangs des palikares et dans les conseils du gouvernement, toutes ces faiblesses de l’hellénisme, dont une seule eût suffi à décider la ruine irréparable d’une cause moins légitime, semblèrent de 1822 à 1827 se conjurer pour faire avorter l’œuvre de régénération entreprise sous les auspices sanglans dont je n’ai point exagéré le tableau.

Enivrés de leurs premiers succès, les insulaires ne prévoyaient pas les retours de fortune qui allaient bientôt menacer leur existence politique. Ils ne songeaient qu’à se livrer « avec toute la sécurité de l’enfance aux caprices de leur riante et active imagination. » Leur premier soin avait été de rejeter bien loin le bonnet et l’habit de raïa, de laisser croître leurs cheveux et de revêtir le costume antique avec une sorte de casque sur lequel on pouvait lire ces mots : mort ou liberté. Les amiraux s’appelaient des navarques, et les capitaines, suivant l’exemple de la Bobolina, se montraient sur leur pont vêtus à la macédonienne. Toutes les révolutions ont connu ces premiers momens d’ivresse ; toutes ont été bientôt ramenées au sentiment de la réalité par des préoccupations qui n’ont assurément rien de poétique, mais qu’il n’est pas permis à la nature humaine de négliger. Ce qui fait triompher la cause des peuples, ce n’est pas l’enthousiasme, ce n’est pas même l’héroïsme individuel, c’est la patience. Les bergers moréotes, si dédaignés par les fiers Armatoles de la Thessalie et de la Macédoine, ont sauvé l’indépendance de la. Grèce quand les insulaires eux-mêmes semblaient prêts à la déserter. S’il y a eu, durant cette longue guerre, des âmes défaillantes, des cœurs irrésolus, ce n’est pas dans cette