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avait passé bien près, car il s’enfuit et ne reparut plus. J’attendis en vain jusqu’au soir. Ils n’osèrent enlever le corps qu’à la nuit. » Outre son chassepot, dont il se servait si bien, Hoff emportait avec lui dans les derniers temps une de ces carabines Flaubert, appelées fusils de salon, qui partent presque sans bruit, et qui à trente pas, pourvu qu’on vise à la tête, peuvent encore renverser un homme. Elle lui avait été remise par l’aumônier de son régiment : c’était le don d’une personne qui voulait rester inconnue. Un capitaine de l’état-major du général d’Exea lui fit aussi cadeau d’une lorgnette ; il s’en servait pour étudier de loin les positions de l’ennemi.

Quand toutes ses mesures étaient prises, quand il avait pied à pied reconnu son terrain, choisi sa route et combiné son plan d’attaque, Hoff revenait pour chercher ses hommes ; ils étaient bien douze ou quinze, Klein, Huguet, Chanroy, Barbaix, gens déterminés, habiles à tous les exercices du corps et ne plaignant pas leur peine. En quelques mots, il leur expliquait la chose, tel bois à fouiller, tel poste à surprendre ; puis, prudemment, à la file indienne, la petite troupe se mettait en marche. Dans la suite, chaque régiment eut ainsi sa compagnie franche régulièrement formée : on a peu parlé pendant le siège de ces francs-tireurs de la ligne, on leur préférait les vestons éclatans et les chapeaux à plumes de coq ; ils n’en ont pas moins rendu de grands et réels services. Au matin, selon l’importance des renseignemens obtenus, Hoff revenait faire son rapport : grande alors était l’émotion parmi les troupes casernées à Nogent ; gardes nationaux et mobiles, tous accouraient pour contempler ces vaillans, et, à les voir rentrer ainsi déguenillés, couverts de boue, noirs de poudre, et plus semblables à des bandits qu’à des soldats, les moins timides demeuraient stupéfaits. Au régiment, c’était à qui leur ferait fête : les camarades étaient fiers d’eux, les officiers les félicitaient et leur serraient la main ; mais le plus heureux encore était peut-être leur colonel. Court et fort, les traits énergiques, la parole brève, sévère aux autres et à lui-même, le colonel Tarayre ne plaisantait pas dans les affaires de service : « un rude homme, » disaient les soldats ; avec cela, le cœur grand et bon. Son régiment était pour lui comme une famille, et dans cette famille ses francs-tireurs étaient les plus aimés. Lorsqu’il les voyait partir chaque soir : — C’est vous, mes enfans ? leur demandait-il de sa grosse voix. Allons ! très bien, bon courage ! Et maintenant me voilà tranquille. Quand ces gaillards-là sont dehors, je puis aller me coucher et dormir sur les deux oreilles. — Au fond, le brave colonel dormait un peu moins qu’il ne voulait dire, et plus d’une fois la nuit on le rencontra seul, revolver au poing, faisant sa ronde à travers nos lignes, au risque d’attraper lui-même un coup de fusil.

La discipline la plus sévère régnait chez les compagnons de Hoff ;