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ferme, il sembla retrouver comme Antée tous ses avantages. Les canonniers abandonnèrent leurs pièces devenues inutiles, et s’élancèrent par tous les panneaux sur le pont, le nom d’Allah et du prophète à la bouche, le sabre à la main. En cette occurrence, le capitan-pacha avait jugé prudent de descendre à terre pour y surveiller de sa personne l’établissement d’une batterie. Son capitaine de pavillon, Hassan l’Algérien, resté seul à bord, exerçait de fait le commandement dont le vaisseau qu’il montait portait encore les insignes. Il donna le signal de l’assaut et fut des premiers à y monter. Les ponts des deux navires devinrent le théâtre d’une lutte acharnée, à laquelle les autres vaisseaux prenaient part en faisant passer incessamment aux navires abordés des renforts. Du haut des vergues, les soldats russes faisaient un feu violent de mousqueterie. La fortune hésitait, quand tout à coup l’incendie éclate. Des tourbillons de fumée enveloppent les deux navires. Ce sont des valets enflammés, disent les uns, des grenades, disent les autres, qui ont mis le feu aux voiles du vaisseau russe. Spiritof, Feodor Orlof, ne voulurent abandonner leur navire que lorsque les débris fumans des basses vergues tombèrent sur le pont. Grièvement blessé, Hassan, de son côté, attendit, pour se jeter à la mer, que son vaisseau fût près de sauter. Une embarcation le recueillit et alla le déposer tout sanglant sur la plage.

Le spectacle de ces deux vaisseaux se tordant au milieu des flammes, l’attente d’une épouvantable explosion, avaient jeté l’effroi dans le cœur des capitaines turcs. Ils coupèrent leurs câbles, et la flotte ottomane dériva pêle-mêle au fond de la rade dont elle avait si imprudemment entrepris de défendre l’entrée. Les amiraux russes tinrent conseil. Ils n’avaient pas de brûlots ; ils en préparèrent trois sur-le-champ et composèrent les équipages en partie de marins grecs et de marins serbes. Ces trois navires, commandés par deux officiers anglais et par un officier russe, entrèrent dans la baie au milieu de la nuit. Couverte par la canonnade de toute la flotte, leur attaque eut un plein succès. Les vaisseaux turcs ne tardèrent pas à sauter en l’air l’un après l’autre. Quand le feu s’éteignit, il n’y avait plus à flot qu’un seul navire ennemi, et ce navire fut emmené en triomphe par les vainqueurs.

On n’est point d’accord sur le lieu qui avait donné le jour à l’héroïque capitaine dont le courage sauva pour la Turquie la honte de cette défaite. On le connaissait alors sous le nom de Hassan l’Algérien. Une heureuse expédition tentée quelques mois plus tard à Lemnos lui valut le surnom de Hassan-Gazi, Hassan le victorieux. C’est sous ce titre qu’il a pris sa place dans l’histoire ; mais, qu’il soit né à Rodosto ou qu’il ait vu le jour à Sinope, ce qui est