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Quelle est sur l’évolution des savans éminens l’influence de la religion ? Revenons à la liste des 94 associés étrangers de l’Académie des Sciences de Paris depuis 1666 jusqu’en 1872. La population relative sur laquelle l’Académie avait à choisir est en Europe de 107 millions de catholiques et de 68 millions de protestans. Or, sur la liste de 89 associés dont la religion est connue, il y a 73 protestans et 16 catholiques ; les autres étaient probablement Israélites. Les associés étrangers actuels, MM. Owen, Ehrenberg, Liebig, Wœhler, de La Rive, Kummer, Airy et Agassiz, appartiennent tous au culte évangélique. — Mais, dira-t-on, un grand nombre de savans, étant Français, appartiennent en majorité à la religion catholique, et le résultat serait peut-être tout différent si l’on prenait les listes des membres étrangers de la Société royale de Londres, où les Français figurent pour une si grande part. Examinons ces listes. Dans celles de 1829 et de 1869, le nombre des protestans est à peu près égal à celui des catholiques. Or, en dehors des îles britanniques, il y a 140 millions de catholiques et 44 millions de protestans ; ceux-ci ont donc fourni relativement trois fois plus de membres étrangers à la Société royale que les catholiques. Enfin, sur la liste des associés étrangers de l’Académie de Paris, on ne trouve pas un seul catholique anglais, irlandais, suisse ou autrichien, et peu de catholiques allemands.

Autre résultat statistique des plus remarquables : si l’on recherche quelle était la profession des pères des savans illustres, on trouve que la profession qui l’emporte sur toutes les autres est celle de pasteur protestant. Voici une liste de vingt-deux noms dans laquelle les quatorze premiers sont ceux d’associés étrangers de l’Institut de France, et ceux qui portent les sept autres étaient dignes de l’être ou le seront peut-être un jour. Ce sont : Bœrhave, Wargentin, Hartscecker, Euler, Camper, Linné, Blumenbach, Olbers, Wollaston, Jenner, Mitscherlich, Robert Brown, Berzelius, Agassiz, John Wallis, Fabricius, Arthur Young, Encke, Oswald Heer, Bernhard Studer et Clausius. Ces savans appartiennent à l’Angleterre, à l’Allemagne, à la Suède, à la Hollande et à la Suisse. Or dans ces pays le pasteur protestant est un homme instruit qui a fait ses études à l’université, où il a suivi le plus souvent d’autres cours concurremment avec ceux de théologie ; il habite généralement la campagne, ses occupations lui permettent de donner beaucoup de temps à l’éducation de son fils. En présence de la nature, il lui apprend à l’aimer, à l’observer ; il lui communique les connaissances qu’il a lui-même acquises dans sa jeunesse. L’enfant est élevé dans la pensée que le travail est un devoir, la vraie destinée de l’homme sur la terre ; il prend le goût des plaisirs simples, des jouissances de l’esprit. La considération dont ses parens sont entourés lui inspire des sentimens d’honneur et de moralité. Il est élevé au sein d’une église où le libre examen a remplacé