Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/709

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veut. La question en vérité est de savoir ce qu’on fera de cette brave et généreuse France qu’on s’occupe de rendre à elle-même, que les partis se disputent déjà sans pitié avant de l’avoir délivrée complètement de l’occupation étrangère. La question est de savoir ce qui sortira de tous ces troubles, de ces débats stériles au milieu desquels on s’agite sans arriver à rien, sans pouvoir même donner à cette malheureuse nation française une forme d’existence publique à peu près définie et saisissable. C’est là pour le moment la plus vraie, la plus pressante de toutes les questions, c’est la difficulté qui au lieu de diminuer depuis deux ans ne fait que grandir ; et, si l’on n’y prend garde, on va droit à une des situations les plus étranges de l’histoire, à une sorte d’aveu universel d’impuissance devant toutes les nécessités de réparation et de réorganisation imposées à un peuple en détresse.

Qu’est-ce à dire en effet ? Voilà un pays de trente-cinq millions d’âmes qui vient d’être frappé des plus effroyables malheurs, mais qui reste plein de ressources, qui n’a jamais passé pour être dénué d’intelligence ni de courage, et ce pays, malgré ses dons et ses ressources, avec la meilleure volonté de vivre et de se relever, ce pays reste réduit à se demander chaque soir dans quelles conditions il se réveillera le lendemain, s’il ne sera pas livré par un accident, par la plus implacable fatalité, à l’anarchie ou à la dictature ! On ne peut réussir à lui donner un peu de paix et de sécurité pour se remettre de ses meurtrières aventures. Voilà une assemblée sortie dans une heure d’angoisse des entrailles de la nation, une assemblée évidemment honnête, éclairée, et ces sept cent cinquante mandataires de la souveraineté publique sont les premiers à offrir le spectacle des efforts les plus décousus, conduisant à une inévitable impuissance. Ils s’arrêtent comme glacés et déconcertés devant ce sphinx d’une destinée nationale à relever. Ils travaillent sans aucun doute, ils tiendraient à faire quelque chose, c’est encore plus certain ; mais ils tournent dans un cercle, ils s’agitent en quelque sorte sur place : ce qu’ils voudraient, ils ne le peuvent pas ; ce qui serait possible, ils ne le veulent pas ; là où l’union de toutes les volontés serait nécessaire, on se divise et on se subdivise ; enfin l’esprit de parti envenime toutes les luttes, neutralise tous les efforts et toutes les combinaisons.

Disons le mot : au lieu de s’inspirer uniquement des vrais et grands intérêts du pays, qui doivent tout primer aujourd’hui, on perd son temps et ses forces dans des manœuvres plus ou moins habiles, dans toutes les subtilités d’une tactique inféconde. C’est là le malheur : on fait des lois qu’il faudra refaire parce qu’elles ne sont pas toujours suffisamment mûries, parce qu’on y met toute sorte de préoccupations et d’arrière-pensées sans s’inquiéter des conséquences. On multiplie les propositions et les interpellations, qui ne servent à rien, quand elles ne sont pas dangereuses. On engage d’assez maladroites campagnes contre M. le mi-