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rentra à Paris qu’en mai 1825, et alors M. de Chateaubriand, mis durement à la porte du cabinet par M. de Villèle, n’était plus ministre ; Louis XVIII était mort ; Charles X venait d’être sacré à Reims. « Dès que M. de Chateaubriand apprit que Mme Récamier était rentrée dans la cellule de l’Abbaye-au-Bois, dit Mme Lenormant, il y accourut le jour même, à son heure accoutumée, comme s’il y fût venu la veille. Pas un mot d’explication ou de reproches ne fut échangé ; mais en voyant avec quelle joie profonde il reprenait les habitudes interrompues, quelle respectueuse tendresse, quelle parfaite confiance il lui témoignait, Mme Récamier comprit que le ciel avait béni le sacrifice qu’elle s’était imposé, et elle eut la douce certitude que désormais l’amitié de M. de Chateaubriand, exempte d’orages, serait ce qu’elle avait voulu, inaltérable. »

Je ne sais si, après qu’ils se furent ainsi retrouvés, Mme Récamier fut bien convaincue, comme le dit sa nièce, que l’amitié de M. de Chateaubriand serait désormais inaltérable ; j’incline à croire qu’il y eut encore entre eux plus d’un trouble et plus d’un mécompte. Ce qui est certain, c’est qu’extérieurement leur intimité renouée ne fut plus interrompue, et que Mme Récamier, indulgente ou silencieuse sur les défauts de M. de Chateaubriand, lui donna, pendant vingt-trois ans, les plus touchantes preuves d’un tendre et fidèle dévoûment. La chute de M. de Villèle et l’avènement du ministère Martignac le firent rentrer un moment, par l’ambassade de Rome, dans la vie publique ; la révolution de 1830 l’en fit sortir pour toujours. Des écrits et des voyages dans l’intérêt de la monarchie légitime et la rédaction de ses Mémoires d’Outre-Tombe, déplorable monument de sa haineuse vanité, suffirent encore pendant quelque temps à remplir sa vie. Quand la vieillesse vint, et avec la vieillesse l’impotence physique et la morosité intellectuelle, il ne resta plus à M. de Chateaubriand que Mme Récamier, son affection comme seule consolation morale, et son salon comme dernier asile à un insurmontable ennui. « Lorsqu’il venait à l’Abbaye-au-Bois, dit Mme Lenormant, son valet de chambre et celui de Mme Récamier le portaient de sa voiture jusqu’au seuil du salon ; on le plaçait alors sur un fauteuil que l’on roulait jusqu’à l’angle de la cheminée. Ceci se passait en présence de la seule Mme Récamier, et les visites qu’on admettait après le thé trouvaient M. de Chateaubriand tout établi ; mais pour le départ il fallait qu’il s’opérât devant les étrangers présens, et c’était toujours un moment cruel, l’imagination de M. de Chateaubriand souffrait-à laisser voir ses infirmités. Par respect, on semblait ne pas s’apercevoir du moment où on l’emportait du salon. »

M. de Chateaubriand passait ainsi presque toutes ses soirées chez Mme Récamier, immobile, taciturne, se mêlant rarement à la conversation par quelques paroles brèves, prenant ses derniers plaisirs dans les soins délicats de la maîtresse de la maison, et dansées respects et