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absolument indifférens, tandis que le couple mal assorti voyage sur la route d’Italie.

Dans les réunions qui ont précédé ce mariage, le lecteur a fait connaissance avec une partie de la société de Middlemarch, la ville voisine. M. Lydgate entre autres, le nouveau médecin, a été présenté à miss Brooke, qu’il trouve, malgré son grand esprit et son indiscutable beauté, très différente de l’idéal qu’il s’est formé de la femme. Selon lui, la femme doit être tout simplement assez aimable pour produire sur les sens l’effet d’une musique exquise, et miss Rosamond Vincy, la fille du maire, dont il est amoureux sans bien le savoir encore, lui paraît posséder seule le vrai charme mélodique. Au fait, peu nous importent l’idéal de M. Lydgate et son opinion de miss Brooke, bien que le romancier ait soin de nous dire que « quiconque observe la convergence furtive des destinées humaines sait voir une lente préparation d’effets se produisant d’une vie à une autre et formant un contraste ironique avec le regard indifférent ou glacé que nous laissons tomber sur notre voisin inconnu. » Cela serait juste, si chacune des figures évoquées avec plus ou moins de relief devait concourir à l’effet général ; mais on pourrait sans inconvénient au contraire supprimer ce second roman qui vient se greffer sur le premier. Quelques lignes par exemple suffiraient à nous faire connaître le jeune docteur intelligent, pauvre et ambitieux, partagé entre l’amour de la science et l’amour plus noble encore des êtres souffrons, cet ardent pionnier des régions inexplorées (nous sommes en 1829) de la pathologie.

Guérir et trouver, faire à la fois son humble devoir à Middlemarch et quelque grande œuvre pour le monde, voilà le but de Lydgate, voilà tout ce qu’il est essentiel de savoir sur son compte ; mais George Eliot ne l’entend pas ainsi. Nous avons à subir un long chapitre de détails sur les préjugés de sa famille, le développement de sa vocation médicale, sa vie d’étudiant à Londres, à Edimbourg, à Paris enfin, où il rencontra une actrice de mélodrame qui fit de lui un homme désillusionné. Il est désormais incapable de considérer la femme autrement qu’au point de vue scientifique, comme un être gracieux, à peine responsable, dont le rôle est de nous égayer par ses gazouillemens et de nous réchauffera la douce flamme de son regard bleu, quelque chose de plus qu’un oiseau ou une fleur, tenant d’ailleurs de tous les deux ; en outre la beauté blonde paraît à Lydgate devoir être vertueuse par tempérament, n’étant évidemment moulée que pour des jouissances délicates. Si la science lui permettait de songer au mariage, il choisirait Rosamond.

De son côté, la coquette de Middlemarch, pénétrée de mépris pour les jeunes indigènes, tous amoureux d’elle, cela va sans dire,