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établi leur siège; c’est là qu’elles ont principalement entassé leurs déjections, élevant des collines de fines scories de 700 à 800 mètres de hauteur et déversant des torrens de lave balsatique qui ont comblé et nivelé la cavité de l’effondrement.


III.

Cette région complètement inculte est dépourvue de grands arbres, mais couverte d’une véritable forêt d’arbrisseaux. Des bruyères de 2 à 3 mètres de haut y élèvent leurs troncs noueux couronnés de fleurs rosées; les rameaux grêles, mais robustes, des myrsines (myrsine retusa) forment des touffes épaisses d’un vert foncé; le laurier des Açores (persea azorica) se distingue au milieu de cette verdure à frondes étroites par l’ampleur de ses feuilles, qui dans l’automne prennent de magnifiques teintes rougeâtres; enfin l’arbre essentiellement açorien, le faya (myrica faya), abonde encore dans ces lieux sauvages malgré la guerre incessante que lui fait la cognée du bûcheron. Des myrtilles, des polygala, certaines espèces de thym, fleurissent au pied des arbustes. Les fougères se plaisent aussi sur ce sol enveloppé presque toujours d’une brume protectrice; les unes, comme le trichomanes speciosum, cachent leur délicate et transparente végétation sur la paroi des fontaines; plusieurs tapissent de leurs folioles élégamment découpées les anfractuosités des rochers, d’autres se déploient en larges panaches sur le bord des ravins. L’une des plus belles, le woodwardia radicans, possède des feuilles qui atteignent jusqu’à 3 mètres de long, et qui près de leur extrémité présentent un bourgeon capable de fournir de nouvelles racines et de nouvelles pousses aériennes. Enfin d’épais gazons de graminées et de cypéracées s’étendent partout où les sphagnums n’ont pas conquis le terrain et étouffé les plantes phanérogames sous leur feutrage spongieux.

Le lapin et le furet sont les seuls mammifères qui vivent à l’état complètement sauvage dans cette solitude : encore sont-ils d’introduction européenne; mais on y mène paître de nombreux troupeaux de chèvres, et l’on y laisse errer en liberté des petits taureaux au pelage noir, à l’œil vif, à l’allure farouche, dont la rencontre au coin d’un hallier pourrait être fort désagréable. Ces animaux sont destinés à figurer dans les fêtes populaires, si chères aux peuples de la péninsule ibérique. Leur sauvagerie les rend tout à fait propres à un tel rôle. Aux Açores, ces sortes de spectacles ont été conservés et ont encore le don d’intéresser la population, quoiqu’ils ne soient plus qu’une ombre des scènes sanguinaires qui passionnent si vivement les Espagnols. Dans les villages