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vendre leurs denrées aux Florentins, qui habitaient la plaine de l’Arno. Le nouveau marché, Mercato-Nuovo, dans la rue Porta-Rossa, n’a de marché que le nom. On y trouve réunis à certains jours de la semaine, à certaines heures, les paysans de la banlieue qui viennent là traiter leurs affaires et vendre la paille tressée dont on fait ces jolis chapeaux au tissu si délicat, en grand renom auprès des dames. Précédemment, c’était là que se tenait la bourse des négocians, quand les anciennes loges eurent peu à peu disparu. Ce prétendu marché n’est du reste qu’une galerie couverte qu’occupent aussi des boutiques, des bazars ambulans. Le toit en est soutenu par une élégante colonnade. On montre au milieu, sur le sol, un espace circulaire formé de tranches de marbre alternativement blanches et noires, et régulièrement taillées suivant six rayons, en souvenir de l’antique char de guerre, le carroccio, que la république traînait à tous les combats, et qu’on remisait là avant l’édification du marché. Quand le carroccio eut disparu, on fit de ce même endroit un usage singulier. C’était cette étroite place que les faillis, en vertu d’une ancienne coutume, devaient frapper trois fois de leur siège mis à nu avant d’obtenir leur concordat. A la façon dont la pierre est usée, on devine qu’elle a servi quelquefois[1].

Il a été dit qu’une même famille habitait sous le même toit, et souvent qu’une famille puissante occupait seule toute une rue. Malgré ces associations, que permettait un état de fortune souvent considérable, on vivait modestement ; le vêtement était grossier. Les femmes restaient à la maison, occupées des soins du ménage et de la quenouille. Elles portaient des robes de bure avec un simple capuchon. Une ceinture de cuir serrait la taille. Les bijoux d’or, les perles, les pierres précieuses, leur étaient sévèrement défendus par la loi. Les hommes se vêtaient encore plus simplement. Dans ce pays, où l’on fabriquait les plus fines étoffes de soie, de laine, où l’argent et l’or abondaient dans les caisses des changeurs, où les produits du sol, perfectionnés par des méthodes déjà savantes, récompensaient largement les efforts de l’agriculteur, rien n’était donné au luxe ni des habits, ni des repas. Des lois somptuaires

  1. Le poète toscan Lippi, faisant allusion à ce fait, feint de rencontrer en enfer
    Donne che feron già, per ambiziono
    D’ apparir gioiellate e lucicanti,
    Dare il cul al marito in sul lastrone.
    Le jurisconsulte Gui-Pape, qui vivait sous Louis XI, a rappelé aussi cette curieuse coutume florentine. « I mercanti di questa piazza purgavano i loro falli ostendende pudenda et percutiendo lapidem culo. »