Les lettres qu’il lui adresse (1853 et 1854.) sont tout à fait importantes. Elles achèvent de montrer à quel point il subordonnait la question politique à la question sociale. Il reproche vivement à l’empire de s’appuyer sur la bourgeoisie et le clergé, qui, dit-il, lui en savent peu de gré, tout en l’acceptant comme sauveur, mais qui le boudent et le lâcheront. La conclusion assez remarquable qu’il tire de ce caractère réactionnaire et clérical qu’il attribue à l’empire est que ce gouvernement ne serait qu’une contrefaçon et une préparation de la légitimité. En conséquence, dit-il, « Henri V est seul logique, et, comme ce qui est logique tôt ou tard se réalise, Henri V reviendra. » Voilà une prophétie faite en termes clairs. Il soutient aussi que, si la forme monarchique dure, l’empire ne peut se maintenir qu’en marchant dans les voies du prolétariat et de la révolution. Une lettre plus curieuse peut-être est celle que M. Sainte-Beuve lui-même adresse au prince Napoléon en lui faisant restitution des lettres de Proudhon que le prince lui avait communiquées. Dans sa mesure, cette lettre de M. Sainte-Beuve, datée de 1865, ne s’écarte pas de la ligne tracée par Proudhon. On trouve le même reproche de marcher dans des voies rétrogrades, exclusivement bourgeoises et cléricales. M. Sainte-Beuve va jusqu’à indiquer un remède pratiqué ; nous le signalons sans commentaires. Il voudrait que le gouvernement impérial fît pénétrer dans le sénat et dans les conseils de l’état l’élément socialiste et révolutionnaire. Il allègue l’exemple du premier Napoléon, qui avait dans ses conseils « des régicides et des royalistes, d’anciens conventionnels et des ralliés du côté droit, les tenant en échec les uns par les autres, se servant de tous, donnant des garanties à tous. « Il est dit dans cette même lettre : « Sous l’empire présent, cet équilibre n’existe pas. Le côté révolutionnaire, socialiste, qui voudrait se rattacher, ne trouve pas un appui suffisant, une garantie… La reculade est frappante… Le gouvernement a tort de voir par la société des salons… Le blanc domine, il n’y a de rouge que celui des cardinaux. » Jour curieux jeté sur la pensée de M. Sainte-Beuve en ces années finales de l’empire et de sa propre vie, qui achève de marquer avec Proudhon, à travers tant et de si grandes différences, ces affinités et sympathies sur plusieurs points qui nous ont paru expliquer cette biographie !
La pensée tantôt exprimée, tantôt sous-entendue par M. Sainte-Beuve, c’est l’avenir, du moins jusqu’à un certain point, des théories proudhouiennes ; il ne s’agirait, il le dit expressément, que d’en