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certain point de vue systématique ; c’est plus que n’en avait fait aucun des chefs de ces écoles fondées sur le raisonnement pur étayé tout au plus de quelques réminiscences antiques. Nous n’attachons pas d’ailleurs plus d’importance qu’il ne faut à ce travail de début, à cet Essai de grammaire générale, à la fois remarquable et incomplet : il ne pouvait qu’être insuffisant ; l’auteur ne connaissait à cette date ni Eugène Burnouf, ni Guillaume de Humboldt, ni d’autres éminens linguistes qui avaient déjà produit leurs travaux. Plus tard, assidu aux cours de Burnouf et intimement lié avec M. Bergmann, le savant philologue de Strasbourg, il n’eut d’autre parti à prendre que d’oublier ce premier écrit, qu’on devait ressusciter contre lui en 1850 pour le traiter de renégat. Dans cet essai anonyme, annexé modestement à l’ouvrage de Bergier, il s’était placé au point de vue de l’auteur, c’est-à-dire au point de vue, de la tradition biblique. L’auteur de la Vie de Proudhon signale dans cet essai quelques accens et « cris étouffés » qui annoncent le futur écrivain révolutionnaire. Ainsi on remarque cette phrase que l’auteur semble jeter en passant ; après avoir dit que l’étude comparée des langues et la connaissance approfondie de leurs racines conduirait à des vues d’origine qui pourraient équivaloir, quant aux débuts de l’espèce et à ses développemens ultérieurs, à une sorte de révélation, il écrit : « Mais quand le hasard et la nécessité seraient les seuls dieux que dût reconnaître notre intelligence, il serait beau de témoigner que nous avons conscience de notre nuit, et, par le cri de notre pensée, de protester contre le destin. » On trouve aussi quelques particularités curieuses sur un second mémoire de linguistique envoyé par le jeune écrivain au concours de l’Institut pour le prix Volney. Ce mémoire avait pour titre : Recherches sur les catégories grammaticales et sur quelques origines de la langue française, et portait pour épigraphe ces mots grecs : τάζις άταζίαν διώχει, l’ordre poursuit le désordre. Le prix ne fut point donné, mais Proudhon obtint l’une des deux mentions, et le rapporteur parlait de son mémoire comme de l’œuvre d’un rare esprit.

Ne croirait-on pas assister aux débuts d’un futur membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres ? Peut-être, né dans des temps plus calmes, n’eût-il en effet révolutionné que l’érudition, comme un Beaufort ou un Niebuhr ; mais l’illusion dure peu. Même dans des travaux qui n’impliquaient par leur nature rien de tel, comme dans le mémoire sur la Célébration du dimanche, mis au concours par l’académie de Besançon, la vraie tendance commençait à se marquer plus nettement. Déjà Proudhon était pensionnaire de cette académie, qui, non sans difficultés, lui avait accordé la