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faiblesse ? Les tentations qu’il a pu éprouver tandis qu’il était encore soumis à une tutelle vigilante ne sont rien auprès des séductions qui l’attendent en dehors de la prison. Que deviendra-t-il lorsqu’il sera de nouveau aux prises avec toutes les difficultés de la vie, quand il aura retrouvé en même temps que ses anciens complices toutes les excitations des grandes villes ? Quoiqu’on ait relâché pour lui la discipline de la prison, on a pris soin jusqu’au dernier moment d’écarter toutes les séductions, tous les appels à sa faiblesse. Aussi est-on convaincu que, si en Irlande depuis quelques années la crainte, mêlée d’aversion, qu’inspiraient les libérés est devenue, peu à peu moins vive, ce n’est pas tant aux prisons intermédiaires qu’un tel résultat est dû qu’à certaines causes générales et surtout à l’infatigable activité de M. Organ. Veut-on savoir ce qu’aurait produit à elle seule la vue des condamnés travaillant en liberté à Lusk ou à Smithfield ? Qu’on lise dans les procès-verbaux de la commission de 1863 la déposition de M. Organ lui-même. Après s’être dit qu’il fallait trouver du travail pour tous les libérés qui sortiraient de ses mains, M. Organ raconte qu’il a pris un plan du comté de Dublin : il a divisé ce plan en districts ; il a marqué toutes les fermes, toutes les usines grandes et petites, puis il s’est mis en campagne, allant de ferme en ferme, d’usine en usine, souvent repoussé, parfois mis à la porte. Lorsque, après avoir fait 25 lieues dans une journée, il avait trouvé un patron qui consentait à recevoir un de ses libérés, il revenait content ; « j’estimais, dit-il, que ma journée n’était pas perdue. » Pour vaincre toutes les résistances, il faisait surtout valoir la garantie que trouveraient les patrons dans la surveillance dont les libérés devaient rester l’objet jusqu’à l’expiration de leur peine. « Peu à peu, ajoute-t-il, les difficultés, très grandes au début, sont devenues moindres ; mais, s’il fallait recommencer auprès de nouveaux patrons, la tâche serait presque aussi ardue. » Cet aveu de M. Organ ne suffit-il pas à nous avertir que ce qu’il y a de plus digne d’être imité dans le système irlandais, c’est moins encore le régime des prisons intermédiaires que cette heureuse alliance du patronage et de la surveillance des libérés imaginée par sir W. Crofton et pratiquée avec tant de succès par M. Organ ?

Il faut prendre garde d’ailleurs, lorsqu’on parle du succès du système irlandais, d’oublier que l’application de ce système a coïncidé avec un ensemble de circonstances très favorables à la diminution des crimes. Les années 1847-1850 avaient été des années néfastes pour l’Irlande ; la famine avait accru le nombre des crimes dans une proportion effrayante. En 1847, il y avait eu 717 condamnations à la transportation ; ce nombre s’était élevé les années