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plaintes très vives contre la transportation : En 1867, le gouvernement se résignait à interrompre tout envoi de condamnés. Quoique de 1850 à 1867 l’Australie occidentale eût reçu 9,669 criminels et un nombre égal d’émigrans libres, dont le voyage et l’entretien avaient coûté à l’Angleterre plus de 50 millions de francs, elle ne comptait encore en 1870 que 24,785 habitans.

Longtemps avant que la transportation n’eût perdu son dernier refuge, l’Angleterre s’était demandé s’il ne serait pas possible de créer au nord de l’Australie, dans le golfe de Carpentaria, ou aux îles Falkland, ou même aux Hébrides, un nouvel établissement pénal. Un comité de la chambre des lords étudia en 1856 cette question et entendit de nombreux témoins ; la conclusion qui sortit de cette enquête fut qu’on ne devait pas songer à recommencer l’expérience tentée en 1787, et qu’il valait beaucoup mieux garder les criminels en Angleterre que de les envoyer sur une terre déserte ou mal préparée à recevoir des colons libres. « L’avantage de la transportation, disait le comité, n’est pas de reléguer dans un pays lointain les condamnés pour les soumettre à l’emprisonnement ou à des travaux publics ; des établissemens construits pour cet objet en Angleterre même auront toujours une supériorité incontestable sur des établissemens coloniaux. La transportation doit servir à procurer du travail au condamné libéré en l’installant dans une société où le travail est déjà assez recherché pour qu’il puisse aisément s’y placer et ensuite s’y établir. Pour qu’une colonie soit propre à recevoir des condamnés, il faut donc qu’il y ait dans cette colonie une demande considérable de bras, soit pour des travaux publics, soit pour des exploitations privées, il faut qu’il existe déjà ou qu’il doive se former rapidement un noyau de population libre assez important pour empêcher une trop grande inégalité entre les deux sexes et entre le nombre des condamnés et celui des hommes libres. » Ces conclusions, empreintes d’une profonde sagesse, étaient l’œuvre d’hommes en général très favorables à la transportation ; tout pays qui voudra, par imitation de l’Angleterre, introduire à titre définitif la transportation dans son système pénal fera bien de les méditer pour s’épargner à lui-même de cruelles déceptions. Suivant la manière dont elle est pratiquée, la transportation peut être le meilleur des systèmes pénitentiaires ou le pire des expédiens ; en tout cas, l’exemple de l’Angleterre semble prouver qu’elle doit être envisagée surtout comme un régime exceptionnel et transitoire.

Tandis que les anciennes colonies pénales se fermaient l’une après l’autre à la transportation et qu’on discutait en Angleterre sur l’utilité d’établir de nouvelles colonies, plus de neuf mille condamnés s’étaient entassés sur les pontons, attendant qu’on décidât de leur sort. Il fallut en 1853 prendre un parti ; on résolut de traiter tous ces