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contribue pour une somme assez considérable à l’entretien des prisons des comtés et des bourgs, n’intervient pas directement dans l’administration de ces prisons, et se borne à y envoyer des inspecteurs. Toutefois les règlemens, préparés par l’assemblée des juges de paix, et tous les plans de constructions nouvelles doivent être soumis à l’agrément du ministre de l’intérieur.

Cette indépendance laissée aux magistrats locaux n’est pas sans entraîner de graves inconvéniens. Les enquêtes de 1850 et de 1863 ont prouvé que rien ne ressemblait moins aux prisons d’un comté que les prisons du comté voisin. Ici les prisonniers étaient assujettis au régime de l’isolement cellulaire, là ils passaient le jour et la nuit dans des ateliers et des dortoirs communs ; ici, pour leur rendre plus pénible la solitude, on leur interdisait tout travail ; ailleurs on les contraignait à des exercices imaginés dans le seul dessein de briser leurs forces ; à Cardiff, les condamnés ne mangeaient jamais de viande ; à Coldbath-fields, ils recevaient une ration de viande rôtie tous les jours de la semaine. Une loi votée en 1865 a fait disparaître les inégalités les plus choquantes, mais il s’en faut de beaucoup, même aujourd’hui, que le régime des diverses prisons des comtés et des bourgs puisse être considéré comme uniforme.

Presque tous les systèmes ont été tour à tour mis à l’essai dans ces prisons. Vers 1830, on s’était arrêté à l’idée de séparer les détenus par catégories, eu égard à leurs antécédens et à la nature des délits qu’ils avaient commis. Plusieurs prisons furent même construites en vue de l’application de ce système, notamment la maison de correction de Westminster à Londres. On ne tarda pas à découvrir que la classification des détenus ne peut être à elle seule la base d’un régime pénitentiaire. Les condamnations infligées aux prisonniers ne fournissent pas une indication sûre de leur degré de perversité ; la division par catégories ne supprime pas la plupart des inconvéniens de la détention en commun, dont le plus grave est la contagion mutuelle. On a donc à peu près renoncé en Angleterre à voir dans la classification des détenus autre chose qu’un moyen d’encourager et de récompenser la bonne conduite des condamnés dans l’intérieur de la prison. L’auteur d’une récente Étude sur la question des peines[1] n’a-t-il pas voulu démontrer l’inutilité de tout système de classification lorsqu’il a proposé de charger les prisonniers eux-mêmes du soin de se diviser en catégories ? « La prison, dit-il, est une société qui doit avoir sa hiérarchie comme toute société. Pour être bien faites, les classifications doivent

  1. Étude sur la question des peines, par M. E, H. Michaux, sous-directeur des colonies, Paris 1872.