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Je m’élançai; je me sentis aveuglé par l’eau, frappé à la tête, tandis qu’un bras robuste me rejetait au fond du canot.

— Lydia! criai-je aussitôt que je repris mes sens.

— Dieu s’est contenté d’une seule victime, répondit la voix grave de Sébastian; nous sommes sauvés.

Nous voguions sur des flots calmes, dorés par le soleil levant, et dont les molles ondulations nous portaient vers le rivage.

— A genoux ! m’écriai-je; n’avez-vous pas compris que c’est pour nous sauver qu’elle a donné sa vie.

Je m’assis accablé, tandis que Sébastian, qui avait deviné la vérité, racontait dans sa langue expressive et simple le dévoûment de la pauvre Lydia.

Une fois débarqués, il ne nous restait plus qu’à nous rapprocher d’une des fermes de l’intérieur; le trajet, bien que pénible, n’offrait aucun danger. Je dis adieu à mes compagnons, je ne voulais pas m’éloigner du rivage avant que la mer m’eût rendu sa proie. Je ne pouvais consentir à ce que le corps de Lydia devînt la pâture des milliers de crabes qui, dressant les pédoncules dont l’extrémité supporte leurs yeux mobiles, semblaient regarder vers la mer.

— Nous sommes deux, docteur, me dit doña Esteva; moi aussi, je veux attendre.

Nous attendîmes en vain.


Je retrouvai l’aspergillum que j’avais confié à Lydia au fond de ma poche, où elle l’avait glissé, tant la probité de la jeune femme était grande. Les classificateurs européens ne se font souvent aucun scrupule de changer ou de modifier le nom des objets d’histoire naturelle qui leur sont expédiés de l’étranger. Or, si j’ai raconté dans ses moindres détails la mort de la pauvre Lydia, c’est afin de prier mes savans confrères de respecter ce nom d’Aspergillum Lydianum que, du consentement de doña Esteva Mendez, j’ai donné au gracieux mollusque découvert par son fils.


LUCIEN BIART.