Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ami, dis-je à voix basse à mon compagnon, je sais nager. Lorsque l’heure sera venue, vous m’attacherez autour de la taille une de ces cordes que nous avons eu le bon esprit d’emporter, et je vous suivrai à la nage.

— Vous serez entraîné et noyé, docteur.

Lydia fit un mouvement ; je sentis celui de ses bras qui m’entourait se contracter. Je fis signe à Sébastian de se taire ; il rama doucement. Au bout d’un instant, Lydia ayant repris son immobilité, je me penchai de nouveau vers mon compagnon ; j’avais eu le temps de réfléchir.

— Le sacrifice de ma vie est fait, lui dis-je ; il serait par trop sot de condamner tant de jeunes êtres pour un être inutile de mon espèce. Ce n’est pas par égoïsme que je n’ai ni femme ni enfans ; absorbé par mes recherches, je n’ai ni pu, ni su trouver… mais laissons cela. Nous tenterons l’épreuve ; elle me coûtera peut-être moins cher que vous ne le supposez. Lorsque nous serons près des brisans, j’essayerai de nager, je m’accrocherai à la première pointe de rocher qui se rencontrera sous mes doigts, vous viendrez me recueillir lorsque votre précieuse cargaison sera en sûreté. Ne me répondez pas, songez à votre femme, à vos enfans. Ce que je propose est raisonnable ; ramez.

Un nouveau mouvement de Lydia empêcha Sébastian de répliquer ; il se contenta de prendre ma main, qu’il serra de façon à me la briser. Vers quatre heures, le vent souffla plus fréquemment. Don Salustio vint tout engourdi prendre les rames ; il remarqua que la mer s’agitait. Sébastian s’assit près de moi.

— Le jour ! vienne le jour ! murmurait-il en se tournant vers le point où le soleil devait apparaître. Ne ramez plus ! cria-t-il soudain.

Lydia se redressa. Sébastian, la tête penchée, écoutait,

— Etes-vous toujours décidé ? me dit-il à l’oreille.

Je répondis par un signe de tête. Il ramassa une corde et me la tendit. Mon cœur battait irrégulièrement ; mais je songeais à tous les périls auxquels j’avais échappé, et je ne désespérai pas de me tirer encore de celui-là.

Une ligne de pourpre raya la limite de l’horizon, la surface de la mer se teignit de rouge, les récifs, couverts d’écume, se montrèrent à quelques encablures.

— Ramez, ramez ! cria Sébastian à don Salustio.

Lydia se pencha vers moi. — Pour vous et pour eux, — dit-elle en désignant les enfans ; puis, prononçant le nom de Valério et se renversant en arrière, elle disparut sous les flots.