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en baissant la voix, que nous avons à bord une de ces Margaritas dont l’influence suffit à disjoindre les planches du navire le mieux calfaté. Voyons, que feriez-vous à ma place?

— Je continuerais tranquillement ma route, répondis-je. Si bonne voilière que soit l’Hirondelle, elle ne saurait atteindre Alvarado avant dix heures du soir, et, en dépit de votre connaissance du littoral et de la barre, je doute que vous puissiez franchir cette dernière au milieu de la nuit. En face de la pleine mer, qu’avons-nous à craindre?

— Tout ! répondit Sébastian, qui frotta énergiquement de ses deux mains son épaisse chevelure.

J’examinai de nouveau l’horizon sans rien découvrir qui fût de nature à m’inquiéter. La cloche annonça l’heure du dîner. Je me dirigeai donc vers la cabine, et je passai près de deux matelots qui, appuyés sur le bastingage, regardaient le soleil disparaître.

— Du vent pour sûr, dit l’un d’eux; cette Margarita nous portera malheur.

— Laisse faire, répondit l’autre; si les choses se gâtent, il y a place dans la mer pour elle.

Les deux matelots se turent. Connaissant les superstitions de ces grands enfans, je me promis de veiller sur Lydia. Au moment de descendre dans la cabine, je rencontrai de nouveau Sébastian.

— Pas un mot de vos craintes devant doña Esteva, lui dis-je.

— Soyez tranquille, docteur, me répondit le marin; je connais mon devoir. Si j’ai bavardé avec vous, c’est que vous êtes homme de bon conseil. D’ailleurs l’orage peut éclater en avant comme en arrière de nous. À minuit, nous saurons à quoi nous en tenir.


III.

Un repas de bord mexicain est trop frugal pour durer longtemps. En dépit de la bouteille de xérès que le capitaine nous offrit, nous le suivîmes bientôt sur le pont. Le soleil avait disparu, la nuit venait rapide. La brise, douce et tiède, soulevait les vagues, les allongeait, les roulait avec mollesse, puis, les repliant sur elles-mêmes par un brusque temps d’arrêt, les couronnait d’une aigrette d’écume constellée d’étincelles. Ce phénomène, dû à la présence de myriades de noctiluques, perles lumineuses et vivantes, émerveillait les enfans, qui battaient des mains chaque fois qu’il se produisait. Je ne manquai pas d’expliquer au petit Juan que nous voguions sur la grande chaudière où, selon la remarque des navigateurs espagnols et du grand Franklin, remarque confirmée par les études