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obéir; les impôts rentrent malgré tout, les engagemens commerciaux sont aussi bien tenus que par le passé. On calomnie notre pays quand on dit que l’impôt sur le revenu serait particulièrement impraticable en France à cause de la fraude. On se récrie beaucoup contre la déclaration qui doit lui servir de base, comme si c’était quelque chose d’insolite dans la façon de recueillir nos taxes. Déjà un certain nombre de ces taxes, et des plus productives, sont perçues au moyen de déclarations; ainsi les droits de mutation, ceux de douane, l’impôt sur les boissons, les sucres. La fraude existe peut-être, mais elle est en somme assez légère, et le fisc préfère la subir plutôt que de chercher à la réprimer par des mesures vexatoires. D’ailleurs le sentiment de la moralité et de la justice pénètre de plus en plus au sein des contribuables. On comprend que tromper le fisc, c’est dérober le bien d’autrui, et que la dette vis-à-vis du trésor est aussi sacrée qu’une autre. En Angleterre, l’încome-tax, après avoir donné lieu à bien des fraudes qui ont été signalées, se perçoit maintenant assez exactement sous le seul contrôle de la notoriété publique et sans vexations aucunes.

Ce serait, dit-on, un acheminement à la taxe progressive. Dans un pays de démocratie comme le nôtre, cet argument touche beaucoup. On voit tout de suite le suffrage universel qui, pour décharger les masses de leur part dans l’impôt, s’appliquerait à en rejeter le poids sur les riches, qui seront toujours en petit nombre. Ce danger existe, il est vrai; mais il est indépendant de l’établissement de la taxe sur le revenu. « Le jour où le pouvoir, a dit très judicieusement M. Casimir Perier, serait entre les mains de gens capables de soumettre le pays à l’impôt progressif, ils n’auraient pas besoin de précédens. « Ils l’introduiraient d’un trait de plume au moyen du rôle des contributions directes ou par d’autres procédés sommaires, qu’ils ne craindraient pas de rendre plus ou moins vexatoires. Cette objection est donc une fin de non-recevoir qui n’a pas de valeur. Il faut examiner l’impôt en lui-même, et l’établir, s’il est bon; on sera toujours à temps de se défendre contre l’abus qu’on pourrait en faire. L’impôt sur le revenu est bon, s’il est modéré, et s’il a une assiette très large. Dans ce cas, il agit comme les autres, il entre dans le prix des choses et est payé par tout le monde, car c’est une erreur de croire qu’on échappe aux impôts dont on n’est pas frappé directement, de supposer par exemple que les taxes directes sont subies par ceux-là seuls qui les acquittent, et que les ouvriers notamment en sont exempts. Si cela était, l’équilibre social reposerait sur une base très fragile et serait exposé à de bien grands périls. Le nombre de ceux qui paient les taxes directes est bien restreint comparé à ceux qui ne les paient pas, et