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de base. Ce n’est pas l’état apparemment qui a bâti la maison que j’habite, qui a confectionné les habits que je porte, en un mot qui fait que j’assiste plus ou moins commodément à cette fête de la civilisation. Toutes ces choses m’appartiennent; elles sont le fruit de mon travail, — et ce que l’état me procure, c’est d’en jouir tranquillement, tandis que, dans l’hypothèse du directeur de spectacle, non-seulement celui-ci m’assure la jouissance paisible de la loge ou de la stalle que j’occupe, mais cette loge et cette stalle sont sa propriété, et il m’en fait payer la location. A moins de continuer la tradition de Louis XIV et de dire que l’état est tout, et qu’il n’y a plus de propriété individuelle en dehors de lui, on ne peut pas exiger pour un droit de surveillance et de police ce qu’on est autorisé à demander lorsqu’on abandonne à un autre la jouissance de sa propre chose. Il n’y a d’exact dans la comparaison que le rapprochement que l’on fait entre le spectacle lui-même et la fête de la civilisation; mais, de même que l’imprésario n’admet personne à jouir gratis de ce spectacle, l’état ne doit pas faire non plus qu’il y ait des gens assistant pour rien à cette fête qui est le produit des efforts de tous.

On invoque les idées de philanthropie et de solidarité sociale. Si on veut dire que, lorsque chacun de nous a payé sa part proportionnelle des taxes, il doit encore, suivant la fortune qu’il possède, participer à toutes les œuvres de bienfaisance, de charité, qui résultent de cette solidarité, c’est à merveille; mais il s’agit là d’une obligation morale qui a sa sanction dans la conscience et n’a rien à démêler avec l’impôt, qui est la rémunération d’un service. C’est pour avoir méconnu ce principe qu’on s’est tant égaré et qu’on en est encore à discuter ce qui devrait être considéré comme un axiome fondamental, à savoir que l’impôt doit être proportionnel, rigoureusement proportionnel. — Vous ajoutez que, si on atteint « le fonds indispensable, celui qui sert à la satisfaction de nos premiers besoins, on commet un crime pareil à celui qu’on commettrait en diminuant la somme d’air qu’il faut aux poumons, la somme de liberté qu’il faut à la conscience. » C’est abuser de la métaphore; l’air que nous respirons fait partie des richesses naturelles que l’on acquiert en naissant, elles ne doivent rien à l’état. Il en est de même de la liberté de conscience, c’est le fonds inaliénable de la nature humaine, qui ne dépend pas de l’organisation sociale. On peut penser ce que l’on veut sans que le gouvernement ait rien à y voir; mais il en est autrement des choses matérielles, même les plus indispensables; on ne les possède que sous la protection de l’état, par conséquent on lui doit un tribut pour cela. L’état est même dans une situation plus délicate que le marchand