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que de son côté la France a toujours prêté une attention bienveillante aux épreuves et aux progrès de ces lointains pays, qui sont avec elle en échange constant d’idées et de relations d’affaires; elle n’a jamais perdu de vue les événemens qui s’accomplissaient dans ces contrées si intéressantes à tant d’égards.

Il y a trois ans que se terminait la guerre soutenue contre le Paraguay par l’alliance du Brésil, de la confédération argentine et de l’Uruguay ou république orientale. Au commencement de l’année 1870, la joie causée aux vainqueurs par la cessation d’une lutte aussi longue que sanglante ne laissait pas que d’être mêlée de tristesse. Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, toute la ville de Buenos-Ayres était sur pied ; on y attendait les bataillons de la garde nationale venant du Paraguay. Retardé par le mauvais temps qui sévissait sur la Plata, le contingent argentin n’arriva qu’à minuit. Près de 2,000 hommes, qui n’avaient pas mangé depuis la veille, défilèrent en trois heures; la plupart étaient des prisonniers paraguayens. On ne saurait imaginer l’état de misère et de fatigue de ces malheureux ; ils traînaient à leur suite 600 ou 800 femmes et enfans qui avaient quitté le Paraguay pour n’y pas mourir d’inanition. Trois jours auparavant, le contingent oriental était rentré à Montevideo, sous une pluie de fleurs et de couronnes; mais on comptait les triomphateurs : partis au nombre de 4,000, ils étaient au plus une centaine. Deux mois après, le président de la république du Paraguay, Lopez, cerné dans le défilé d’Agindaban par le général Camara et 300 Brésiliens, refusait de se rendre et se tuait. Il n’avait pourtant droit ni aux palmes du martyr, ni à la glorification du héros. On ne devait point oublier qu’il avait été l’agresseur, que cette guerre néfaste avait été entreprise par ambition personnelle, et que bien des cruautés avaient été commises par celui qui s’intitulait le Suprême, el Supremo. Cet homme, qui avait rêvé de profiter des divisions intestines des états de la Plata et de leur jalousie à l’égard du Brésil pour assurer l’hégémonie du Paraguay, n’aboutissait après cinq ans d’efforts acharnés qu’à la plus lamentable catastrophe. Partout où pénétraient les troupes alliées, elles ne rencontraient sur leur route que des populations exténuées, tristes débris d’un peuple ne pouvant plus vivre que de la commisération de ses vainqueurs. Ce pays, qui avec 1,200,000 habitans avait lutté contre trois états dont la population réunie s’élève à environ 12 millions d’âmes, n’était plus qu’un fantôme. On avait été obligé de vendre jusqu’aux vases sacrés. Tout en blâmant la conduite de Lopez, on ne pouvait se défendre d’un sentiment de compassion pour ce pauvre petit peuple que distinguent sa patience, son courage, son esprit de discipline, sa foi religieuse, et