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XIXe siècle la conscience des princes les moins scrupuleux : il altérait le titre de ses monnaies. C’est ainsi que dès 1804 il avait fait descendre le change de la piastre turque de 5 francs à 2 fr. 50. Nous avons vu en 1840 cette monnaie d’argent tomber au taux du réal espagnol, 25 centimes ; — en 1821 le commerce extérieur ne l’acceptait déjà que pour la valeur intrinsèque d’un alliage où le cuivre tendait à figurer presque seul. Diminués par l’incurie, détournés par l’infidélité, compromis par des mesures déloyales, les revenus du trésor public, au début des hostilités, ne dépassaient probablement pas le chiffre de 100 millions de francs, et encore, sur ces 100 millions, près de 50 provenaient-ils du karatch, impôt de capitation que supportaient seuls les chrétiens. Les finances de l’empire, par bonheur, ne dépendaient pas uniquement du trésor public. Il existait sous les voûtes du sérail une réserve précieuse, fruit d’une longue épargne, mystérieux amas de richesses qu’alimentaient des recettes distinctes, et que chaque sultan mettait son orgueil à grossir. Cette réserve se nommait le trésor privé. On n’y puisait que dans les circonstances d’une gravité tout exceptionnelle ; l’insurrection grecque constituait un de ces cas extrêmes où les portes du dernier caveau ne pouvaient hésiter à s’ouvrir. Le sultan était d’ailleurs fondé à compter sur les emprunts qu’il ferait aux biens des mosquées, sur les offrandes volontaires, sur la vente des emplois, sur les produits des amendes et des confiscations, sur toutes les ressources en un mot qu’il eût mises à contribution pour soutenir une guerre étrangère, qu’il pouvait à plus forte raison évoquer quand il avait à étouffer une révolte servile et un soulèvement religieux.

L’argent ne manquerait donc pas au sultan Mahmoud ; aurait-il assez de soldats pour garder la ligne du Danube, pour contraindre la Perse à la paix, pour achever la défaite d’Ali, pour faire face à la sédition en Épire, en Morée, dans la Grèce continentale, dans les îles, en Thessalie et en Macédoine ? Combien d’hommes, s’il faisait appel au ban et à l’arrière-ban de l’empire, pourrait-il réunir sous les drapeaux ? Ni en 1774, ni en 1790, la Porte n’avait pu réussir à mettre plus de 100,000 hommes en campagne. Les relevés officiels présentaient, il est vrai, un état militaire évalué à 180,000 cavaliers, 15,000 canonniers et 220,000 fantassins ; mais il y a toujours de grands mécomptes à craindre lorsqu’on en est réduit à faire marcher ses réserves. Ces mécomptes, il n’est pas de puissance au monde qui ne les ait éprouvés ; en Turquie, ils s’expliquent sans peine par les énormes distances que les troupes convoquées ont à parcourir. Il n’avait jamais fallu moins de sept ou huit mois pour rassembler une armée ottomane. Si cette armée se trouvait à