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cette heure, quel sujet en vaudrait la peine? Des comparaisons, où les prendre? Rubini, Moriani, Lablache, ont disparu; Mario, vieilli, éprouvé, maugréant, fait son tour du monde, et promène dans l’extrême Orient le reste d’une voix qui s’éteint et d’une ardeur qui tombe. A l’instant où nous écrivons, peut-être chante-t-il à Pékin, ombre de lui-même! Entre ce que fut le Théâtre-Italien et ce qu’il est, la distance est trop grande : ne parlons ni de glorieux passé, ni de traditions à ressaisir, il y a solution absolue de continuité ; à ce qui n’est plus, on ne compare point ce qui n’est pas.

Ne serait-ce pas bientôt le moment d’en finir avec ce trop facile système qui consiste à transformer en opéras nouveaux de vieilles pièces ayant fait leur temps sur des scènes de vaudeville et de mélodrame? Nous voyons que, même en ce genre secondaire, les anciens se donnaient la peine d’inventer : Sedaine, Marsollier, Etienne, Dupaty dans le passé, plus près de nous Planard, Scribe, Saint-Georges, trouvaient bon de se mettre en certains frais d’imagination; nos auteurs ont découvert quelque chose de plus commode. Les uns s’adressent à leurs propres ouvrages pour en tirer ainsi doubles profits, d’autres exploitent grandement les chefs-d’œuvre et se fabriquent avec Roméo, Hamlet et Faust des répertoires fort avantageux et pour le poète, cela va sans dire, et pour le public, qui, dès longtemps au fait de l’anecdote, n’a pas même besoin de s’aider du programme, et comprend tout de suite de quoi il s’agit. Nous nous étonnions dernièrement de voir venir Roméo et Juliette s’installer à l’Opéra-Comique; avouons que la présence de Don César de Bazan n’y paraîtra pas moins singulière. Où trouver une raison d’être musicale à ce mélodrame, qui ne vivait à la Porte-Saint-Martin que par un personnage, lequel n’empruntait son intérêt qu’au jeu tragique à la fois et funambulesque, à la pantomime extravagante, aux costumes insensés d’un comédien de génie? Devant cette sublime entrée de Frederick, arpentant les planches au milieu des huées de toute une marmaille de carrefour, la musique n’a qu’à se taire, de pareilles scènes appartiennent à Callot. Grétry ni Boïeldieu, Hérold ni Auber, n’ont rien à voir là dedans. La musique peint des passions et ne crayonne pas des attitudes. Quand Frederick, d’un coup de poing magnifique, enfonçait son chapeau à plumes sur sa tête, et, soulignant chaque mot, s’écriait en face de Charles II abasourdi : « C’est moi qui suis le roi d’Espagne, le roi de toutes les Espagnes! » sa physionomie, son accent et son geste enlevaient la salle. C’était de la bouffonnerie shakspearienne, quelque chose comme un éclair d’inspiration qui vous faisait passer devant les yeux tout le romantisme de la vie picaresque. Cette scène, pour laquelle on accourait jadis, à peine aujourd’hui si l’on y prend garde; le grand comédien qui la faisait vivre a disparu, et les violons perdent leur peine à vouloir s’escrimer à sa place. D’ailleurs c’était mal