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des conditions de prudence que doit imposer une douloureuse occupation étrangère, de vouloir exposer le pays aux agitations lorsqu’il a besoin au contraire d’éviter toutes les crises jusqu’à la libération complète de son territoire. L’erreur de ceux qui ont soulevé cette question de la dissolution était de croire que le gouvernement pouvait les suivre ou tout au moins leur laisser le bénéfice d’une connivence indirecte, d’un silence énigmatique. C’était une méprise presque puérile. Le gouvernement ne pouvait ni laisser affaiblir l’intégrité et les droits de l’assemblée, dont il est le délégué, ni même se taire, sous peine de paraître pactiser avec une agitation révolutionnaire. Élever une telle question, c’était le contraindre à prendre un parti ; soutenir la dissolution par des discours comme celui de M. Gambetta ou de M. Louis Blanc, c’était lui offrir l’occasion facile de décliner publiquement toute solidarité avec ceux qu’on l’accusait d’avoir pour alliés. Il en est résulté ce qu’on a vu, — le discours par lequel M. Dufaure, faisant ce que M. Thiers lui-même ne pouvait faire comme chef du gouvernement, a exécuté la gauche, M. Gambetta, M. Louis Blanc, et le vote écrasant qui a clos cette discussion, qui fait de l’agitation dissolutioniste une sorte de manifestation factieuse sans écho dans le pays. Le 29 novembre, le gouvernement avait eu une faible majorité avec l’appui de la gauche ; le 14 décembre, il a eu une majorité considérable contre la gauche. Voilà ce qu’on a gagné, La situation s’est trouvée sensiblement modifiée par ce seul fait de l’accord du gouvernement et de la majorité conservatrice de la chambre sur la question la plus grave, celle de l’existence même de l’assemblée, et après la gauche, si quelqu’un a été mis en déroute, c’est en vérité un des généraux du centre gauche, M. Ricard, qui, se trouvant sur le terrain, ayant à livrer bataille, a demandé une remise au surlendemain. La bataille, à ce qu’il paraît, ne se passait pas comme M. Ricard l’avait prévu. Voilà encore un chef de parti bien compromis, et le centre gauche réduit à se remettre du désarroi où il est un instant tombé dans cette affaire.

Un fait reste certain, cette discussion a montré une fois de plus qu’une intelligence sérieuse, patriotique, est toujours possible entre le gouvernement et une majorité considérable de l’assemblée. Puisqu’on s’est entendu sur un des points les plus décisifs, pourquoi ne s’entendrait-on pas sur les autres questions qui restent à résoudre ? Cette intelligence, elle a été préparée par ce premier rapprochement si naturel et si simple, dont les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir. À partir de ce moment en effet, il est visible que la situation s’est en quelque sorte détendue. Les rapports sont devenus plus faciles, l’esprit de conciliation est en progrès, la confiance semble renaître entre le gouvernement et cette commission des trente, que M. Thiers appelait spirituellement la petite fille de la commission Kerdrel, qui reste chargée