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consommateur ? nous ne le pensons pas, car la totalité de l’impôt s’élèverait par tête à 1 fr. 70 cent., et de toutes les contributions existantes celle-là serait encore la plus modérée et la plus inoffensive. La consommation ne serait évidemment point ralentie, parce qu’elle est générale, constante, forcée en quelque sorte, — et ce qui prouve avec la dernière évidence qu’elle n’est point subordonnée au tarif des droits, c’est que d’une part, au moment même où les tarifs étaient le plus élevés, elle suivait une marche uniforme et régulière sans autre accroissement que celui qui résultait de l’accroissement de la population, et que, d’autre part, la suppression des droits en 1848 l’a laissée exactement dans les mêmes conditions, sans que le progrès ait été appréciable. Or, du moment où la consommation ne diminue pas, les intérêts du producteur sont pleinement sauvegardés ; quant au petit commerce, au commerce de détail, — et sur ce point les renseignemens que nous avons recueillis sont unanimes, — l’augmentation lui est parfaitement indifférente, parce qu’il est habitué à regarder depuis longtemps le sel comme un article sacrifié, sur lequel il ne gagne pas, et qui n’a pour lui qu’un seul avantage, celui de faire prendre aux cliens la route de ses magasins. « Nous vendrons le sel 10 centimes de plus, disent les détaillans, et nous n’en vendrons pas 1 kilogramme de moins[1]. »

Il est bien entendu qu’en proposant une augmentation de taxe, nous la faisons porter uniquement sur la consommation alimentaire, et que nous respectons les dégrèvemens et les franchises accordés par les règlemens actuels à la grande et à la petite pêche, aux usines qui fabriquent des produits à base de sel, ainsi qu’à l’agriculture ; mais sur ces points on ne saurait encore appeler avec trop d’insistance l’attention des économistes et des législateurs, parce que le régime de la franchise est lui-même susceptible d’améliorations importantes.

Depuis plus d’un demi-siècle, l’emploi du sel dans l’agriculture, soit comme engrais, soit comme addition à la nourriture des animaux, a été l’objet des plus vives controverses. Non-seulement, a-t-on dit, le sel marin doit fournir au sol la soude et le chlore nécessaires à la végétation, et remplacer les sels de potasse dans les terres où ils font défaut, il doit encore augmenter la production de la viande dans des proportions considérables, et préserver les animaux contre la plupart des épizooties. Le fondateur de l’école de Roville, l’illustre Mathieu de Dombasle, parut un moment

  1. Nous nous empressons de remercier ici M. Monchaux, président de la chambre de commerce d’Abbeville, et M. Émile d’Orval, l’un des agriculteurs les plus distingués de la région du nord, qui nous ont fourni d’exacts renseignemens avec la plus parfaite obligeance.