Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

révolution de février vint brusquement renverser tous les calculs et détruire toutes les espérances.

A dater de cette époque, le budget et la dette suivent d’année en année une effrayante progression. Sous la seconde république, les impôts fonciers et personnels s’augmentent de 219,667,727 francs; les impôts indirects, qui donnent la mesure de l’aisance des populations, perdent 141 millions. L’amortissement est suspendu, ainsi que le remboursement en numéraire des bons du trésor et des dépôts faits aux caisses d’épargne, et la dette inscrite est portée à 227 millions de rentes annuelles, soit en une seule année 51 millions de plus que sous le règne de Louis-Philippe.

Ce n’était point le second empire qui pouvait rétablir l’équilibre. De 1852 à 1864, 239 millions furent ajoutés à la dette inscrite. La guerre du Mexique vint encore aggraver les charges, et la guerre contre l’Allemagne, en nous attirant les plus terribles désastres, nous a mis en présence d’une situation financière qui rappelle les plus tristes jours de notre histoire. Aujourd’hui, par suite des fatalités de la défaite, le capital de notre dette s’élève à plus de 20 milliards, notre budget à 2 milliards 406 millions, non compris les dépenses départementales, et près de la moitié de cette énorme somme est absorbée par l’intérêt de la dette. L’illustre homme d’état à qui la France a confié ses destinées a fait tout ce qu’on pouvait attendre de son patriotisme et de sa haute raison pour relever les ruines amoncelées sous nos pas. Le pays s’est soumis sans murmure à tous les sacrifices pour payer la rançon de la France aux Germains, comme Charles le Gros, dans la décadence carlovingienne, l’avait payée aux pirates normands. L’Europe nous a donné un éclatant témoignage de sa confiance et de sa sympathie en s’associant à nos emprunts avec un empressement dont on ne trouve aucun exemple dans l’histoire des autres peuples, — et pourtant, malgré la bonne volonté de tous et les immenses ressources de notre agriculture et de notre industrie[1], le redoutable problème de l’équilibre budgétaire est loin d’être résolu.

Pour faire face aux 600 millions de dépense annuelle que nous a imposés la guerre de Prusse, il a fallu épuiser toutes les inventions de la fiscalité, augmenter les anciens impôts, en créer de nouveaux, et fouiller la société dans ses profondeurs comme les pionniers californiens fouillent la terre pour y chercher de l’or; mais les augmentations et les nouvelles taxes peuvent compromettre, anéantir même certaines industries, elles peuvent diminuer dans une

  1. Le produit annuel de notre industrie est évalua à 6 milliards et le produit de notre agriculture à 7 milliards 500 millions. Paris figure à lui seul pour 1 milliard 300 millions dans la statistique industrielle.