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de cette joie doit être contenu dans les lignes qu’elle lui montre, et il y est contenu en effet, car ces lignes se rapportent à la consécration de l’hostie et affirment le mystère de la transsubstantiation, nié par les protestans. Cette expression et cette pantomime veulent donc dire : le duc de Bouillon était protestant, et il se convertit au catholicisme par les conseils et sur les instances d’Eléonore de Berg, sa femme. La base de la statue du duc de Bouillon est ornée d’un petit bas-relief du travail le plus remarquable, qui nous paraît de beaucoup la pièce la plus originale de ces sculptures. Ce bas-relief, qui consacre le souvenir de quelqu’une des batailles auxquelles le duc prit part, la Marfée ou toute autre, représente une mêlée pleine de furie et de mouvement. L’artiste s’est évidemment inspiré des mêlées classiques de l’art italien; mais, transformant ses souvenirs avec une intelligence des plus rares, il a donné un aspect tout moderne à ces batailles italiennes, qui ont toujours l’air de se rapporter aux combattans d’Enée et du roi Turnus, et n’en a conservé que ce qu’elles ont d’éternellement conforme aux lois de l’art, c’est-à-dire un mélange de furie dans l’ensemble, en même temps que le relief individuel le plus prononcé dans chacun des acteurs. Cette mêlée est un carnage de gentilshommes français du temps de Louis XIII; ces têtes, ces corps, sont modernes et français. Le sculpteur, en empruntant son mouvement à l’art italien, n’a pas voulu sacrifier à son amour exagéré des formes robustes. Pas d’épaules carrées à la manière des athlètes, pas de muscles en saillie, pas de mamelons de chair, rien de tous ces détails si choquans d’une anatomie trop prodiguée. Ces visages sont fins et nobles, ces tailles sveltes, longues, bien prises, ces membres souples, élégans, bien proportionnés; en un mot ce que nous contemplons dans ce bas-relief n’est pas seulement une belle mêlée, c’est une mêlée de l’ancien régime français, d’une époque très déterminée.

Tous nos lecteurs se doutent-ils qu’il y avait encore au commencement de ce siècle, dans une petite localité de Bourgogne, une église aussi grande que Saint-Pierre de Rome, qu’ils vont admirer de si loin? L’église abbatiale répondait à la grandeur de l’abbaye; de même que Cluny était la première abbaye, son église était le premier temple de la chrétienté. Longtemps avant que le pape Nicolas de Sarzana conçût la pensée élémentaire de la basilique romaine, deux moines architectes de Cluny avaient réalisé la même conception gigantesque sur la foi et avec le secours d’un rêve qui leur avait fourni le plan de l’édifice, et en avait déterminé les dimensions, Cette église portait cinq clochers à l’extérieur, et présentait à l’intérieur un narthex ou église des cathécumènes, cinq nefs soutenues par soixante piliers, deux transepts, un grand