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qu’une inscription enchâssée dans un des murs de l’église. Enfin les membres les plus récens de la famille, c’est-à-dire les Chastellux des quatre derniers siècles, sont ensevelis dans la petite église paroissiale du village qui leur a donné leur nom nobiliaire. Ces sépultures sont de beaucoup la chose la plus remarquable qu’il y ait à Chastellux. Ce n’est pas que toutes ces tombes soient recommandables par la beauté, la plupart sont au contraire singulièrement modestes; mais l’effet moral qui résulte de l’ensemble est très frappant, et involontairement on se surprend à répéter devant ce spectacle le vers de notre vieux régent du Parnasse :

La noblesse, Dangeau, n’est pas une chimère.


La chapelle qui contient ces restes forme presque la moitié de la petite église, et cette moitié est pleine jusqu’aux bords de mausolées, de tombes, de colonnes, d’urnes, d’inscriptions, plus pressés les uns contre les autres que les rameaux morts dans les bois en novembre. Devant ce spectacle, on revoit en imagination je ne sais combien d’états de société différens, tous abolis successivement, je ne sais combien d’époques toutes rapprochées et fondues dans une même éternité, toutes contemporaines maintenant les unes des autres, comme ces morts que la vie avait séparés par de tels intervalles de temps, et qui ont tous maintenant le même âge. Celui-ci, dont le cœur est renfermé dans un beau monument sculpté et dont voici la mâle image à genoux devant son prie-Dieu, mourut en 1580, gouverneur de Metz et de Marsal. Metz! quel sentiment douloureux s’éveille dans le cœur à ce mot, et comme il fait penser combien la durée même est une faible protection pour les choses d’ici-bas! Si nous l’avions perdue à cette époque, c’eût été un retour de fortune moins douloureux, car Metz était alors un trophée nouveau de la France, elle ne s’était pas encore soudée à notre vie, et plus de trois cents ans d’existence commune ne lui avaient pas assuré une prescription tutélaire. Celui-là, tué à Nordlingue, fut contemporain des premières victoires de Turenne et de Condé, à l’aurore de la suprématie française, dont il fut un des ouvriers inconsciens et pour laquelle il mourut. Cet autre a connu les dangereuses espérances du XVIIIe siècle, cet autre les duretés de l’exil et les tristesses du retour, ce dernier enfin a recueilli les débris d’une fortune continuée pendant tant de siècles et d’une illustration accumulée à travers tant de vicissitudes. Certes ce spectacle a sa philosophie, et l’impression en grandit encore quand on songe que ces tombes si pressées sont en bien petit nombre comparativement à la durée de cette famille, qu’on n’a là sous les yeux que les sépultures de quelques-uns de ses membres, de ceux que les