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pagne et qui me paraît de travail bien moderne. Toutefois les figures même ne laissent pas que d’inspirer quelques doutes, car elles renferment une énigme fort difficile à expliquer. Elles représentent deux chevaliers en armures complètes couchés aux côtés l’un de l’autre sur la même dalle funèbre, et l’inscription qui accompagne ce tombeau nous dit qu’elles sont les effigies de Claude de Beauvoir, maréchal, et de son frère, George de Beauvoir, amiral de France. Or le maréchal de Chastellux n’eut jamais de frère, et il n’y eut jamais non plus de Chastellux amiral de France. Ce n’est pas du reste la seule erreur que contienne l’inscription, car elle nous dit que Cravan fut repris sur les Anglais, tandis qu’il fut repris sur les troupes de Charles VII, et très particulièrement sur les troupes écossaises au service de ce roi. Cependant on peut trouver plusieurs raisons très plausibles de cette dernière erreur, outre la raison de l’ignorance; mais comment expliquer la première, si le monument du XVIIe siècle a reproduit le précédent? Il n’est guère croyable qu’au lendemain de la mort du maréchal on ait inventé un frère à un homme aussi considérable, dont la famille était si connue, lorsque tant de ses contemporains vivaient encore, et il n’est pas moins singulier que cette erreur ait pu se commettre sous les yeux du chapitre d’Auxerre, qui avait des raisons si particulières de connaître la vérité. Comme personne ne donne d’explications de cette erreur passablement étrange, je me hasarderai à donner la mienne. Il est très probable que, le premier monument ayant été entièrement brisé par les calvinistes, on n’aura eu plus tard pour le reconstruire d’autres données que celles d’une tradition vague qui aura peut-être confondu les souvenirs de deux monumens, celui de Chastellux et celui de deux frères chevaliers quelconques, brisés en même temps, et que par conséquent le monument de la cathédrale d’Auxerre, loin d’être une reproduction du précédent, se trouve n’être qu’une œuvre de pure fantaisie.

Ce monument du vieux maréchal à Auxerre nous est une transition toute naturelle pour parler des sépultures des Chastellux. Ils sont ensevelis un peu partout en Bourgogne. Les membres de la première famille avaient pour habitude de confier leurs restes à l’église dite de La Cordelle, église d’un couvent de franciscains élevé à leurs dépens, dont on voit encore les ruines sur la montagne de Vézelay. Ces ruines elles-mêmes ont péri, les murailles et les clôtures ont été renversées, et chèvres et brebis broutent sans façon l’herbe et les ronces que pousse la terre grasse de ces anciens seigneurs. Hamlet lui-même ne trouverait pas son compte dans ces décombres, car il n’y pourrait même pas ramasser un crâne qui lui permît de philosopher. Plusieurs membres de la seconde famille furent ensevelis à Saint-Lazare d’Avallon; il n’en reste aujourd’hui